Pour atteindre la rue de l’Official se parcourt la si bien nommée rue de la Populaire. Des sièges rangés à fond de pièce; une caméra et son cadreur, une régie et sa maîtresse des sons et lumières. Clap de début. Plongée.
L'échange filmé est mis à disposition par Point Culture

IMPRESSIONS DE GENOU
Un carnet accompagne le corps, il a pour mission de saisir ce que l’écoute de soi, de l’autre, des autres libère dans un jaillir fortuit, ou plus construit. Cet article n’est pas une retranscription du déroulé de l’entretien. Nul verbatim. Juste des impressions cueillies là où la source même affleure. Et mises en forme pour faire sens.

FAIRE SENS

Le merle est un silence.
Il prend le temps
de dire sa patience à être
dans la discontinuité du chant
qui fait sens
pour les merles.
Comme à la radio.

Choix musicaux: S. Bottacin. Il nous a notamment donné à entendre le chant du merle et Comme à la radio.

Cette rencontre est placée sous cette triple injonction: voir, écouter, vivre. Deux belles personnes. Steve Bottacin crée une occasion de tête à tête avec son invitée, Martine Cornil. Ils sont accueillis au Point Culture Liège, une remarquable vigie culturelle de service public.


« L’ÉLITISME POUR TOUS »
Très tôt dans l’entretien, cet oxymore caractérise la démarche de construction de sens mise en place par Martine Cornil dans ses différentes émissions tout au long de son temps radiophonique. Cet oxymore a fait sortir le carnet.

Elle s’émerveillera (bel hommage, très mérité, d'Elle à Lui) de son art très abouti dans la préparation à cet entretien. Il a pris le temps de devenir ces Confidences pour confidences devant un public élu (celles et ceux qui avaient élu domicile ce matin-là, de 10h17 à passé 12h50).

Je ne savais pas que les matines sonnaient ainsi.

Si le concept est reconduit la saison prochaine (Pleeeeeeeease !), plus aucune excuse n’est permise. Un samedi matin par mois se passera là. L’art de la rencontre y est bellement mené, jusqu’à la manifestation de ce qui demeurait caché, comme en un lieu hors du monde. À Bords de monde. Le livre.


VOIR
Bords de monde, le blog.


Toutes ces photos proviennent de l’environnement immédiat de Martine Cornil. L’éditeur a lancé un appel à textes. Il en a reçu plus de cinquante, en plus de ceux fournis par des écrivains sollicités par l’auteure / photographe elle-même, comme F. Dannemark, X. Deutsch ou L. Baba.
L’éditeur a choisi chaque texte qui accompagne les photos prises à la limite de la macro.
Pour M. Cornil, ces textes sont des cadeaux, elle les assimile à « de l’amour, quoi !».


ÉCOUTER
Le temps médiatique actuel, raccourci, ne s’en sort que corrompu par rapport aux années 80, où le temps s’entend à l’antenne, sur le service public. Le débit de parole y est plus lent que sur les radios libres, qui imposent déjà un rythme plus rapide.
Marc Moulin est allé chercher M. Cornil sur l’une d’entre elles, pour lui proposer la matinale de la première – qu’elle refuse ! –; il revient quelques mois plus tard avec une émission de soirée: ce sera Confidences pour confidences. Micros ouverts, les auditeurs appelaient.
L’invitée du jour estime que l’extrême obsession actuelle centrée sur la durée d’écoute est un faux débat. La culture en BF manque de vitrine, y compris sur le service public.
Elle constate que le tronc commun culturel n’existe plus. Faire le pari de l’intelligence. En retrouver le sens pose probablement même question.
Les silences à la radio, la respiration de soi en quelque sorte, sont devenus rares alors qu’ils étaient monnaie courante avec des interviewers comme Gérard Valet ou Macha Béranger (sur France Inter). M. Cornil nous dit son émotion le jour, au détour d’un couloir, où G. Valet la félicitera « d’avoir compris à quel point le silence est important » (à l’époque de Tête à tête).
Les émissions « montées » dont les euh, les hm, les silences ou les Ah je vois sont enlevés ne correspondent pas à la réalité. Elle nous les a redits avec conviction. Cette absence de réalisme s’entend…

À nouveau, un pont se tend: je progresse depuis quelque temps dans Poétique de la terre, d’A. Berque. Il y affirme (formulation personnelle):

La signification élabore l'information.
La signification ne se substitue pas à l'information.
La signification métabolise l'information.
La signification se nourrit de l'information elle-même créativement.
La signification a besoin de l'information comme matière première. PT 184-5

Dans les médias actuels, « ce qui est scandaleux, c’est l’absence de pensée. », dit-elle. En termes berquiens, cela devient: la signification ne métabolise plus l'information. Un voisinage certain.

À force d’être surinformés, nous ne sommes plus capables de faire sens.
Martine Cornil, à nouveau: « On est entré dans l’ère des médias de consolation ». De consolation.
Elle dit avoir « l’impression d’être salie en regardant certaines choses [téléréelles] dans les médias. »
« Ce cynisme affiché, complètement décomplexé … frise le mépris. »
Dans les émissions à la mode téléréelle, « on en est à l’ère de l’humiliation consentie ». Toutes ces compétitions entre participants, d’où ne sort jamais qu’un seul élu…
Ce constat formulé en peu de mots, très peu, devant ce public sabbatiquement élu du Point Culture de Liège ce 13 6 2015, est fort. Il dit ce qu’il y a à dire du grand malaise ressenti face à ces émissions. Les gens acceptent, car c'est un acte volontaire mu par l'égo - cet envers du soi -, ils acceptent de se laisser offenser pour avoir leur minute de célébrité…


 VIVRE
Steve Bottacin: « Il y a une forme d’éthique qui te donne presque une autorité morale. » Il nous dit l’avoir perçue lors d’une intervention dans une assemblée de Tout autre chose, une occasion saisie pour intervenir dans le réel. Une phrase recueillie par M. Cornil, et dénichée par S. Bottacin, lors d’un entretien avec Christine Mahy (Réseau wallon de lutte contre la pauvreté), l’a marquée: « Il en faut de la créativité pour vivre avec 600 ou 800 € par mois. »
Cette créativité mise à profit pour gérer sa propre précarité à flux tendu, en quelque sorte, l’est au détriment d’autres domaines, déplorent-elles. « Ils sont ceux dont on parle mais qui ne s’expriment pas. » Parfois oui quand même, comme ici.

« Le temps pris pour lire, rêver, penser est subversif, dangereux ... C’est le temps de la pensée, le temps qu’on s’accorde, le temps qu’on se donne. »
« Quand on ne fait rien, on a moins de temps qu’avant. »

Le spectateur proche que je suis note, sans fébrilité, ces perles qui nous sont distillées, avec cette calme fébrilité qui correspond si bien au vibrato propre à cette voix-là.

En observatrice des temps du monde, M. Cornil constate que « les gens ne comprennent plus le conditionnel ». Et en mésusent, en le confondant souvent avec le futur, il me semble: j'aurai pour j'aurais. Comme si ce temps entre le rêve et le réel ne pouvait plus trouver sa place dans la logique binaire mise en place par le monde de l’information. Il me semble que le débat lancé par M. Cornil autour du conditionnel trouverait à rebondir dans l’univers berquien. Je creuserai cette piste, peut-être… Oui, je la creuserais bien.

LE CHÔMAGE
M. Cornil constate cette « violence symbolique terrifiante exercée vis-à-vis des chômeurs ». Nous devrions « entendre ce qu’ils ont à dire ».
« On ne peut pas dire qu’on ne savait pas. » Le temps de l’innocence est forclos. « Quand on est au chômage, le temps ne nous appartient plus. »
« Il n’y a pas de grand complot – mais un grand chaos. » Une acosmie en termes berquiens: « l'effacement des valeurs et les désordres qui s'ensuivent, L'anomie (concept hérité d'E. Durkheim) est sociale, L'acosmie concerne le social et le naturel, Il s'agit de l'embrayage des valeurs humaines aux faits de la nature… » (Poétique de la terre, p.67 §16)


SANS CONCLURE
« Ce qui me révolte, l’imposture. »
« Ce qui me réjouit, les enfants. »

Cette matine débordant sur la suite du jour a prolongé ses effets tout le jour, alimentant les rebonds de conversations qui ont fusé entre Culture Multimédia et Nulle part, réunis pour l’occasion, et le temps d’un week-end, en terres liégeoises. Ils se sont nourris de cette bienveillance même à être des deux interlocuteurs, dans le doute créateur du soi qui se vit, s’écoute et se voit. Belles rencontres.

 


De nombreux liens parcourent cet article; ils sont destinés à lancer des ponts, à créer des passerelles éphémères, des points de passage, car voici peut-être venu l'ère des appontements entre univers voisins. Les intelligences citoyennes (M. Hansotte) sont d'abord ouvertures sur le monde: de Syriza à Jean-Luc Mélenchon en passant par Podemos et l'Équateur du Président Correa.