Dans les voies de l'accomplissement (ch. IV), R. Misrahi distingue deux niveaux dans la liberté.
Premier niveau, celle qui fait qu'on peut faire n'importe quoi. Elle veut dire initiative possible mais non nécessaire.
Deuxième niveau, une plus grande liberté; en passant au deuxième niveau, se promeut l'action plus indépendante, pertinente, cohérente, parce que mieux pensée, mieux réfléchie.
« Avec cette distinction des deux niveaux, je peux comprendre maintenant que moi, individu libre et désirant [ 1er niveau], je puisse me sentir dépendant et empêché de déployer ma liberté, et que, en même temps, je puisse fort bien imaginer une meilleure vie où je serai en mesure dedéployer dans la joie cette liberté déjà mienne dans l'insatisfaction. »


Dans La nacre & le rocher, 277-279, notre auteur se concentre sur les trois renversements qu’il détaille dans le processus de conversion - j'aurai peut-être à dire un jour (voire à redire !) sur le choix de ce vocable, mais laissons cela:
1. premier renversement
Il s'agit d'inverser les perspectives cognitives sur le monde. « À partir de ce premier renversement, une porte s'ouvre sur l'avenir du sujet: puisque déjà il invente les symboles & les situations, il est capable d'inventer encore, & d'inventer autrement & autre chose. Capable de créer mes valeurs & mes buts, je puis me concentrer sur ma nouvelle orientation, sur mon nouveau désir. » 278
2. Deuxième renversement
« Le premier fut opéré par l'intelligence. Cette nouvelle inversion sera opérée & par l'intelligence & par l'affectivité. Il s'agit de renverser, d'inverser l'orientation du Désir. Au lieu de le vivre comme un mouvement absurde, comme la vaine tentative de combler un manque indépassable, on peut le vivre comme étant la très légitime recherche du contentement & de la joie. Le Désir n'est pas condamné à l'échec, il est la perpétuelle reviviscence du mouvement vers la satisfaction & la plénitude. » 279
3. Troisième renversement, le renversement du regard sur l'autre au lieu de traiter l'autre « comme un objet & un instrument (femme "soumise", esclave "monnayable", ouvrier "corvéable"), il s'agit de le traiter comme le sujet qu'il est. Au lieu de déployer des relations de calcul et de réversibilité (par violence ou par "contrat"), il y a lieu, au contraire, de déployer des relations de réciprocité. L'amour & l'amitié, la coopération & la solidarité pourraient ainsi être totalement renouvelés & ouvrir sur une autre vie & sur le "tout autre". » 279


Enfin, dans Les voies de l’accomplissement, à nouveau, le cinquième chapitre est consacré à la conversion & ses renversements, déjà bien clarifiés ci-dessus.
« Je suis déjà allé plus loin que je n’étais il y a quelques jours: j’ai compris qu’une véritable conversion est à réaliser (« je ne pense pas à une conversion religieuse », est la première phrase du chapitre), & j’ai établi à mes propres yeux qu’elle est possible puisque je suis libre. Je ne sais pas encore si j’aurai à changer ma vie ‘’quotidienne’’, mais je sais que j’aurai à changer mes convictions et que j’en ai le pouvoir. » 77
Il montre ensuite que cette conversion/retournement remonte à la philosophie de la Grèce antique. Filiation directe qu’il trace ensuite avec «son» Spinoza
« Après avoir pris conscience de tous les « biens » couramment poursuivis, il décida de chercher s’il n’existait pas un vrai bien qui pourrait lui conférer une joie permanente et souveraine…. « C’est chez Spinoza que, pour la première fois, l’idée de conversion prend tout son sens… il exprime la nature et la portée de ce renversement: il ressort donc de tout cela que nous ne nous efforçons pas vers quelque objet, nous ne le voulons, nous ne le poursuivons, ni ne le désirons pas parce que nous jugeons qu’il est un bien, mais parce que nous nous efforçons vers lui parce que nous le voulons, le poursuivons & le désirons. » B. Spinoza 80
RM reformule en ces termes: « ce n’est pas la qualité (la nature) d’un objet qui fait naitre le désir, c’est au contraire le désir qui, par son mouvement, crée la qualité (la désirabilité) de l’objet.' 80

RM voit dans ce mouvement une double conversion.
Le 1er mouvement renverse notre conception du désir;
le 2e s’opère dans l’action de l’homme lui-même. « Je puis donc être d’accord avec moi-même. » 81
Plus loin, il reprend: « La conversion est … un acte volontaire. Elle est le refus de la vie empirique & banale qui allie, l’ennui, la servitude & la souffrance. » 90

« La conversion comme renversement est aussi une décision. Mais cette décision n’est pas neutre ou indifférente… elle implique, au fond d’elle-même, une visée concrète qui est la satisfaction du Grand Désir, lorsqu’il est comblé. … Elle est à la fois un vécu qualitatif & un contenu significatif. » 91
« La conversion est le passage de la passivité des pensées & des désirs à l’activité des pensées & du Désir. La tâche de la conversion est de renverser le mouvement (de la spontanéité quotidienne) & de faire en sorte que l’autonomie créatrice du sujet soit mise au service d’un nouveau projet & d’une nouvelle attitude qui produise le contraire de l’aliénation… Elle est l’oeuvre de la réflexion. » 91
Dans la dernière page du chapitre V qu’il consacre à la conversion, RM introduit une réflexion sur l’écriture.
« Mais je dois ajouter une évidence actuelle & présente [dans sa vie à lui, RM]: cette réflexion est écrite. Elle est l’acte de la conscience qui se redouble, mais cet acte s’opère comme acte d’écrire… Je ramasserai ce double aspect en le désignant par le terme de « surréflexion ».
… « La verbalisation [orale] libère la conscience affective en l’exprimant; l’écriture va redoubler la verbalisation en devenant réflexion écrite sur une verbalisation qui est déjà une première réflexion. » 92
« & comme la conscience s’apprend, l’écriture s’apprend. Mieux, par l’écriture, la réflexion s’apprend. »
« Le terme ‘’surréflexion’’ est, comme conversion, un patient travail de l’esprit à travers le temps; il est le travail de la connaissance & de la critique qui renversent les erreurs & les illusions. … Ce travail patient de l’esprit se constitue comme décision radicale, brusque et ‘’drastique’’, constamment reprise & réitérée; cet acte [devient] alors actuel. Il est en effet la décision drastique de s’arracher à la passivité & de se tourner activement vers un avenir qui ne sera pas ‘’attendu’’ mais construit. »
Le dernier paragraphe est exprimé à la première personne:
« Je vois mieux, maintenant ce qui se passe en moi: par la surréflexion (écrite) je désire fonder, & je fonde effectivement, je construis mon autonomie.
Par ma décision, écrite & réfléchie, je construis une autonomie qui va me permettre, paradoxalement, de transmuter ma vie & de l’accorder enfin à mon Désir qui sera un nouveau Désir.
C’est ce nouveau Désir qui peut enfin se consacrer valablement à la recherche de son accomplissement. » 92

Que l'écriture soit une une surréflexion opère un contentement intérieur en soi.Il s'agit en effet d'une réflexion que j'ai à plusieurs reprises personnellement exprimée à quelques proches en affirmant que la psychologie n'avait rien à m'apporter. Retrouver cette note réflexive fin 2023 alors qu'elle avait été initialement lue et formulée ici même conforte la profondeur intérieure, son enracinement corporel en quelque sorte.


  • « J'ai fini par me convaincre qu'il fallait apprendre à vivre seul. » 24
    •  « Ma joie de vivre est faite de
      • Autonomie
      • Réciprocité
      • Jouissance. » 104