À la lecture d’une récente chronique de Pierre Assouline (La république des livres), je me suis dit: ah, je ne suis pas le seul, donc. Et l'hebdomadaire Marianne n'est pas en reste: il consavre à l'indignation de nombreuses pages dans son édition de début janvier 2011.

Voici l’état de ma réflexion de terminologue engagé dans le monde.
Le problème n’est pas de s’indigner avec ou contre Stéphane Hessel. L’homme, apparemment sympathique d’après l’image médiatique que l’ « on » voudrait qu’il laisse, est respectable.

J’ai voulu comprendre pourquoi son message est si nébuleux, car que nous veut exactement ce jeune homme? L’indignation, comme technique de prise de conscience et de « poussage » à l’action, me paraît toujours inadéquate. De la consultation d’un dictionnaire électronique et d’un dictionnaire de langue, j’en ressors renforcé.

De quoi s’indigner est-il donc le nom?

Avoir le réflexe de vérifier la définition d’un concept est toujours bienvenu dans des cas pareils :
«S’indigner : Éprouver un sentiment de mépris et de colère. » (Médiadico). Les quatre termes de cette définition sont effectivement suspects, vous ne trouvez pas ? D’abord il s’agit d’un sentiment à éprouver : l’auteur cherche donc à nous prendre par les sentiments. Est-ce bien élégant ? Et surtout efficace ? Car, rapidement, ceux et celles qui le suivront sentiront qu’ils ont été manipulés. Et ils se demanderont à quelles fins, et se replieront. Inélégant et inefficace comme tout, finalement.
Mais pire, il s’agit de susciter un sentiment de mépris : m’enfin, il n’y a déjà que cela sur terre ! Faut-il vraiment en remettre une couche ?
Et la colère, franchement, est-elle vraiment bonne conseillère ?
Les quatre termes sont donc mis en branle à mauvais escient, et pour le coup on se demanderait bien pour qui/quoi ce petit ouvrage roule…

Pour en avoir le cœur net, j’ouvre le Grand Robert : « Indignation : sentiment de colère que soulève une action contre laquelle réagit la conscience morale ou le sentiment de la justice. » (vol. 4 p. 67 col. 2). Il s’agit de choquer, révolter, soulever, provoquer un scandale, précise  encore cet ouvrage de référence. Bof bof, vous ne trouvez pas ?

Et René Descartes, convoqué à titre d’exemple d'usage du mot, précise à la page suivante :

« L’indignation est une espèce de haine ou d’aversion qu’on a naturellement contre ceux qui font quelque mal, de quelque nature qu’elle soit ; et elle est souvent mêlée avec l’envie ou avec la pitié ; mais elle a néanmoins un objet tout différent, car on n’est indigné que contre ceux qui font du bien ou du mal aux personnes qui n’en sont pas dignes, mais on porte envie à ceux qui reçoivent ce bien et on a pitié de ceux qui reçoivent ce mal. »
Les passions de l’âme, III, 195.

Aucun des quatre mots soulignés ne me semblent bien souhaitables à susciter chez autrui : la haine, l’aversion, l’envie et la pitié. N’en jetez plus ! En plus, ils doivent bien représenter des péchés aux yeux de certains…  Bref, il semblerait que les connotations induites par ce petit livret soient toutes à rejeter… Elles ne sont point trop vertueuses.

Décidément, de quoi s’indigner est-il donc le prête-nom ?

L'indignation me semble relever d'un média chaud (émotionnel). Est-elle de bon conseil?

De qui cette indignation serait-elle dès lors le sous-marin ? Pendant que nous nous indignerions avec ce « sage médiatique », que se passerait-il en eaux profondes ? Ne s’agirait-il point de détourner notre attention en suscitant des sentiments assez vils, finalement.

Le blog de Pierre Assouline.