La manière dont l'auteur referme les portes pour clore le cycle se fait dans la connivence discrète avec son lectorat.

De la trame fournie, dense, touffue même, qui compose le cycle des contrées, se dégage une sensation de cohérence frisant l'absoluité. L'auteur est proprement incollable. Toute lecture par contre, même familière des arcanes d'une saga qu'elle n'a pas conçue, se perd en de soudaines conjectures face à des soubresauts...


Ombres

« On ne rencontre jamais son ombre. » 66

« On ne peut pas toujours éluder sa propre ombre. » 93

« Toute ma vie durant, j'avais pressenti qu'autour de moi rôdait des ombres sans contour. » 128


Un cycle prend la forme arrondie d'émergences récurrentes. Chaque lecture va à son rythme, a sa période, ce temps mis pour accomplir un seul cycle. Celui d'une vie, celle de l'auteur. La structure cyclique des récits qui composent l'ensemble des romans & nouvelles qui étoffent le cycle des contrées exerce sur la mémoire de son lectorat pourtant fidèle des pressions diverses qui libèrent des bribes, des effilochades mémorielles, des couloirs où l'inspecteur Molavoine s'aventurait avant de s'y perdre définitivement par exemple, aux amours du veilleur de jour, Barthélemy Lécriveur, par ailleurs père de Ludovic Lindien, meilleur ami de Jérome, le narrateur du premier chapitre de cette vie-ci.

Le narrateur de la seconde partie, plus étendue, est Brice Cleton. Nous l'avions déjà rencontré dans un ouvrage précédent (La clé des ombres, également chez Le Tripode) se déroulant à Journelaime, autre ville où la narration nous avait emmené·e·s.


Le silence des livres
Ludovic Lindien à Brice Cleton: « Je ne crois pas du tout que nous ayons perdu notre temps. Le temps nécessaire à deux pensées cheminant l'une vers l'autre n'est pas perdu... Il est riche de sa propre fécondité. Vos allées & venues dans le silence des livres à l'abandon & mes errances dans les paysages lointains sont sans doute dialogues. La peur nous pousse. Nous essayons de nous en évader. »

Aller & venir, dans le silence des livres, le beau programme que voilà !

J. Abeille rassemble en ce roman ses fils narratifs pour tisser un bouquet final brillant de mille feux, autant d'artifices mis bout à bout ameutent la lecture de souvenirs d'anciennes émotions vécues à même d'autres récits. Ils évoquent tant de saveurs enfouies qu'une reprise sera forcément à l'ordre du jour, un jour ou l'autre car le cycle des contrées est un hommage appuyé rendu aux livres & à leurs bibliothèques, aux conservateurs & à leurs intrigues, aux carnets tenant entre leurs couvertures tant de récits de voyages.


L'incertitude

Rose: - Alors tu préfères rester dans l'incertitude ? C'est invivable.
Brice; - Rose, les hommes vivent toujours dans l'incertitude & passent leur temps à l'oublier & même à cultiver leur ignorance. » 247


Deux idées comme ça

Ce serait bien si... des chercheurs/chercheuses universitaires se penchaient sur le cycle complet pour l'équiper de deux outils qui faciliteraient l'accès de l'oeuvre à des lectrices/lecteurs qui l'aborderaient pour la première fois en 2021.

La première, le cycle des contrées jouirait élégamment d'une ligne du temps situant mieux les épisodes dans les lieux si bien visualisés par les cartes de Pauline A. Berneron qui figurent désormais dans chaque volume publié chez Le Tripode. Le lien inclus sur son patronyme vous conduit vers un texte que ... Jacques Abeille consacre à sa peinture sur le site de La nouvelle revue moderne.

Une autre chronologie démêlant les fils de l'écriture & des publications des autres livres aiderait certainement à mieux comprendre « le lien naturel entre la chronologie de leur conception & celle de leur parution. », Préface de l'éditeur Le Tripode au très beau volume Le monde des contrées, publié en 2016 par Les 400 coups & Éric Darsan. « Conscient de cette particularité, Le Tripode avait par exemple renoncé à numéroter chaque volume au fur & à mesure de leur parution depuis 2010. Jacques Abeille explique lui-même que l'enchaînement de ces textes répond davantage à une logique irradiante que linéaire. »

& pourquoi pas une ligne du temps irradiante, un réseau notionnel, une arborescence intuitive elle-même connectée aux cartes... On peut rêver, non ?

La seconde tiendrait en un réseau notionnel désenchevêtrant les relations complexes que les personnages nouent entre eux à mesure que le Cycle se déroule sous nos yeux; chacun·e serait pourvu·e d'un lien hypertexte vers une biographie qui préciserait dans quelle(s) oeuvre(s) ils apparaissent, leur rôle, leurs interactions avec d'autres personnages.


D'autres pistes

17 11 2020 Journée sombre, humide sur la Principauté de Liège, dans la seigneurie d'au-delà des bois du duché de Limbourg & soudain, le visage s'éclaire: un entretien accordé fin 2020 à Diacritik par Jacques Abeille ! En complément, Y. Étienne balaie le cycle en six pages, une gageure !

Fin novembre 2020 , une chronique bien vue sur En attendant Nadeau: Un cycle romanesque majeur.

1 12 20 Journée faste et pluvieuse (À peines éplorées, / elle effleurait la terre / De toutes les larmes de son corps.../ elle pleuvait...à en dessiner des gouttières / sur chaque fenêtre. ): Je découvre en surfant avec mots-clés La nouvelle revue moderne, qui accueille plusieurs textes de J. Abeille. C'est par ici... Visiblement son animateur aime beaucoup...