Quand Madame C. Despeux est à la manoeuvre, l'oeuvrage est de qualité. C'est au détour d'un entretien radiophonique sur France Culture que j'ai découvert l'existence de ce livre publié en 2014. En écoutant cet entretien, ces énigmes des grands maitres zen s'acquiert déjà une bonne conformation, apte à nous initier ce à quoi s'adosse ce grand pays, un continent en soi, La Chine. La bibliographie (incomplète) de l'autrice figure ici, sur le site du Centre de recherches sur les civilisations de l'Asie orientale.

Cet ouvrage traduit par C. Despeux approche, puis approfondit de façon à la fois abrupte & ouverte, un peu comme s'il s'agissait pour elle de trouver la bonne longueur d'onde pour se mettre en état de capter ce qu'elle offre à notre lecture, nous laissant ainsi une chance d'y trouver une voie d'entrée personnelle.

La contextualisation que C. Despeux nous offre tout au long de ces 49 cas présentés est précieuse. La complexité référentielle de cette civilisation plurimillénaire, dont nous ne percevons rien en commerçant de gré ou de force avec elle, fait forcément de nous, occidentaux, des victimes entre leurs mains. D'autant plus qu'elles sont mues par le capitalisme extrême tel qu'il a par exemple été instrumentalisé par le propriétaire de cette caverne d'alibaba en voie d'installation dans les entrepôts de l'aéroport de Liège. Il aura fallu que nous leur paraissions bien faibles, nous Wallonnes et Wallons, pour que nous bénéficions de la faveur insigne de son ancrage aéroportuaire européen !

Plutôt que de le déplorer, choisir d'approfondir nos connaissances sur les référentiels communs aux Chinois·es paraît sur Nulle Part une option préférable.


Chaque énigme consiste à exposer un cas public (koan) au moyen de

  • questions
  1. des anciens à des disciples qui doivent répondre
  2. des disciples au maitre, soit individuellement, soit lors des prêches.
  • anecdotes.

Les cas publics permettent aux moines à qui ils sont destinés de cheminer vers l'éveil.

L'esprit ne doit se fixer nulle part. 46 C'est en déployant sa souveraine liberté que l'esprit parvient à rester dans l'instant présent

  • sans se fixer nulle part,
  • sans aucun point d'appui,
  • en ayant résolu tous les doutes.

La vie éternelle est dans l'instant présent.


À titre d'exemple, le 8e cas public se lit ainsi:

« Le révérend Demeure-au-clair-de-lune demande un jour à un moine: " Xizhong a construit cent chars; si l'on en retire les deux roues é l'essieu, qu'est-ce que cela devient ?"

« Commentaire de Sans-Porte: si vous arrivez à comprendre directement & sur-le-champ, vos yeux seront telles des étoiles filantes & votre activité d'esprit tel l'éclair.

« Stance

Lorsque la roue en activité tourne,
Celui qui est dedans en encore perdu,
Aux quatre coins, au nadir, au zénith,
Au nord, au sud, à l'est, à l'ouest. » 85

La fin des annotations de C. Despeux en font prendre l'exacte mesure: « Le commentaire & la stance de Sans-Porte évoquent l'état d'absorption méditative nécessaire pour expérimenter l'identité entre phénomènes & vacuité. Celui qui reste dans la roue du devenir, le samsâra, est impliqué & emporté par les phénomènes. Seul celui qui, selon les conseils du Sûtra du diamant, ne fixe son esprit nulle part, est à même de laisser oeuvrer la sapience, cette sagesse illuminatrice qui permet de voir la nature réelle des choses. » 87


Rapprocher des concepts voisins

En fixant son esprit nulle part, le soi est à même de laisser oeuvrer la sapience, une sagesse illuminatrice qui permet de voir la nature réelle des choses. Il me semble que cela se confond avec le troisième genre de connaissance chez Spinoza ou encore l'insu chez Élisa Brune & Paul Quest. L'essai qui est consacré à cette science intuitive & à cet insu se lit en cliquant sur ce lien.

Il semble en effet que

  • l'état d'absorption méditative qui s'atteint en ne fixant son esprit, son attention, nulle part, permet à une forme de sagesse illuminatrice de voir la nature réelle des choses
  • ressemble fort
    • à cette science intuitive (3e genre) qui consiste à saisir l’immanence de la manière dont les réalités singulières s’insèrent dans la nature infinie. Cette science intuitive implique de se libérer par rapport à tous les mythes de transcendance & de libre arbitre. La science intuitive libère l’esprit à la fois de l’imagination et de la servitude,
    • & à l'insu qui nous permet d'accéder
      • à une réflexion
      • & à une action

      qui donnent droit

      • à l'intuition,
      • à la découverte fortuite,
      • aux rapprochements incongrus,
      • au contrôle sans conscience, que permet une longue expérience. » Élisa Brune & Paul Qwest, Nos vies comme événement, Odile Jacob, 2019, 41