L'exercice d'une charge publique vu par M. de Montaigne in Essais, Livre III, chapitre 10: Sur la façon de régler sa volonté, Extraits), édition complète, adaptation en français moderne par André Lanly, Quarto, Gallimard, 2009, 1355p. Merci aux éditions Frémeaux d'avoir insisté sur ces passages dans la sélection d'extraits lus par Monsieur M. Piccoli et enregistrés sur cd.

« Messieurs de Bordeaux m'élurent maire de leur ville  alors que j'étais éloigné de la France et encore plus éloigné d'une telle pensée. Je refusai mais on m'apprit que j'avais tort, l'ordre du roi intervenant aussi en l'affaire. C'est une charge qui doit sembler plus belle qu'elle n'a ni rémunération ni gain autre que l'honneur d'être exercée...
À mon arrivée, j'expliquai fidèlement et consciencieusement mon caractère, tel exactement que je le sens être: sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur; sans haine aussi, sans ambition, sans cupidité et sans violence, pour que [Messieurs de Bordeaux] fussent informés et instruits de ce qu'ils avaient à attendre de mon service. ...
La plupart des règles et préceptes du monde prennent un cours tel qu'ils nous poussent hors de nous et nous chassent sur la place [publique] pour nous faire servir la société publique. ...
Je ne veux pas que l'on refuse aux charges publiques que l'on assume l'attention, les pas, les paroles, et la sueur et le sang au besoin: "ne craignant pas moi-même de périr pour mes chers amis ou pour ma patrie" (Horace, Ode IV, 9 v 51-52).

Mais [je veux que l'on s'acquitte de ces fonctions] en se prêtant [seulement] et accessoirement, l'esprit se tenant toujours en repos et en bonne santé, non pas sans action, mais sans tourment et sans passion. Le fait d'agir simplement lui coûte si peu qu'il agit même en dormant. Mais il faut le mettre en mouvement avec discernement, car si le corps reçoit les charges que l'on met sur lui exactement selon ce qu'elles sont, l'esprit les étend et les alourdit souvent à ses dépens en leur donnant la mesure que bon lui semble. ... [L'action va bien sans la passion.] ...
J'ai pu m'occuper des charges publiques sans m'écarter de moi de la largeur d'un ongle, et me donner à autrui sans m'enlever à moi.
[La passion fait tout mal.] (Stace, ThébaÏden X, v 704)

Celui qui n'emploie [dans son action] que son jugement et son adresse procède plus gaiement: il feint, il ploie, il diffère tout à son aise, selon que les circonstances l'exigent; il manque son but sans tourment et sans affliction, prêt et intact pour une nouvelle entreprise; il marche toujours la bride à la main. » (1212-127; extraits; les soulignements sont de mon fait.)


Beau programme que voilà: Servir. Tout en conduisant d'élégante façon les affaires publiques, non ? Sous la plume de M. de Montaigne, les sursauts qui saisissent certaines de nos femmes et certains de nos hommes politiques actuels paraissent si vains que s'en détacher est la seule issue pour se distinguer.
S'en détacher: c'est à mes yeux ce que tentent de faire: MM. B. Sanders (Candidat démocrate, USA), J. Corbyn (Labour, Shadow Prime Minister, UK), J.-L. Mélenchon (Parti de gauche, FR). Plus quelques autres qui sont déjà aux affaires: A. Tsipras (Premier Ministre, GR), Madame M. Carmena (Maire de Madrid, ES), A. L. Santos da Costa (Premier Ministre, PT). Il y en a sûrement d'autres qui m'échappent pour l'instant.