Pierre Macherey revisite notre lecture de l'Éthique.

« Chez Spinoza, les deux termes ESSENTIA & NATURA sont substituables l'un à l'autre. » C'est une note au bas de la page 31 qui livre ainsi, comme en passant, une clé de lecture très éclairante. Déclinons: Deus sive natura = deus sive essentia.

 INVOLVERE = impliquer, avoir pour condition suffisante. Le verbe anglais, to involve, en dérive directement. Un autre sens encore apparait: avoir pour conséquence, qui n'est pas mentionné par PM.

p53 définition 8: L'éternité n'est rien d'autre que l'existence elle-même, pensée en elle-même comme nécessaire & infinie.

Les malaxages philosophiques sont aussi utiles en cela que la philosophie formalise des emprises, des nuances qui se tiennent à l'écart de méprises toujours possibles. Cette économie de moyens mis en oeuvre est souhaitable en ce qu'elle a assagi, a rendu sage en quelque sorte en ancrant la vie dans la matière même qui coule en soi. Être éclairé par PM, c'est aussi y voir plus clair dans l'oeuvre, en soi.

Éth. I, déf. 8 « Par éternité, j'entends l'EXISTENCE même en tant qu'on la conçoit suivre nécessaire de la seule définition d'une chose éternelle. » Trad. B. Pautrat. Spinoza fait la différence avec la durée infinie. PM y consacre presque deux pages (53-54).

Spinoza pense l'éternité sur le modèle des vérités éternelles « or une telle conséquence nécessaire est évidemment indépendante de toute considération de durée, même s'il s'agit d'une durée indéfiniment prolongée. » PM Intro I, p. 54 Tant que l'existence même se prolonge indéfiniment, nous pouvons former une impression erronée que le corps est éternel dans la durée. Il n'en est rien. Il s'agit juste d'une conséquence nécessaire qui ne nous dit rien sur la durée de l'existence, la nôtre y compris bien sûr.

« L'éternité n'est rien d'autre que l'existence pensée en elle-même comme nécessaire & infinie, donc se déduisant nécessairement de l'essence de la chose, ce qui renvoie implicitement à la notion de la CAUSE DE SOI. » Cette cause de soi a fait l'objet de la première définition: « Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l'existence, AUTREMENT DIT ce dont la nature ne peut se concevoir qu'existante. »

La cause de soi émane

  • de la nature,
  • donc de l'essence

enveloppant l'existence.

C'est en intériorisant toujours davantage les processus existentiels du corps qu'émane de façon de plus en plus continue, la perception très intuitive d'être en les incarnant puis en les incorporant toujours plus profondément à leur essence, cause naturelle de soi, càd essence causale de soi. Être existentiellement devenu essence cause éternelle de soi, le temps indéfinissable

  • que durera la vie en soi,
  • que le flux énergétique universel

est, de façon très palpable, conçu comme passant aussi par soi, dans les entrailles corporelles de l'en soi. C'est en entretenant de façon régulière les passages intérieurs du flux que se confirment

  • la matérialité vibratoire des canaux qui relient entre elles les portes-tambour (chakras)
  • ainsi que la bonne mobilité de ces portes-tambour (chakras) sur leur axe de rotation.

Cette matérialité vibratoire et cette mobilité des portes sur leur axe central sont des incorporations, dans le sens de sculpture à même le corps, se vérifient notamment par une pratique régulière. (voir Tantrisme - voir notamment cet essai rendant compte de La kundalinî, ouvrage écrit par L. Silburn, & le recueil de nature poétique Un écartement convenable).


Connaître les choses

PM Intro Éth. I, p. 29:

C'est par l'intellect que le lecteur de l'Éthique « est appelé à connaître les choses en elles-mêmes. » càd les choses « telles qu'elles sont réellement ». PM oppose « réellement » à « dans l'abstrait ». C'est bien dans ce sens que les actions d'intérioriser, d'incorporer, d'incarner en soi.

PM: « Le discours philosophique est d'emblée (= dès les définitions qui entament la première partie de l'Éthique) installé dans la mouvance de la connaissance du troisième genre, l'intuition.

Spinoza n'égrène donc pas une litanie de vérités abstraites universelles qui seraient véhiculées par « on comprend » mais chaque idée vraie donnée nous est présentée par l'auteur tel que lui, Spinoza, l'entend, la comprend, comme si chacune de ces idées vraies données émanait intuitivement de son propre corps-conscience. Il n'essaie pas de nous persuader en (ab)usant de procédés rhétoriques. Il s'adresse « à un esprit entièrement libre de s'engager ou non dans la voie ainsi ouverte ». 30

L'utilisation par PM du terme « la voie » rapproche une proposition du sinologue Jean François Billeter de diversifier la traduction du terme TAO en fonction du contexte:

TAO =
voie
acte
activité
déroulement des choses,
fonctionnement des choses
méthode
action


Dès lors, je teste les déclinaisons de ces diverses traductions en écrivant sur l'oeuvrage de Spinoza:

Spinoza a déroulé dans l'Éthique un fil d'écriture en suivant une méthode géométrique héritée d'Euclide pour nous exposer comment il avait réellement compris le fonctionnement des choses. L'Éthique continue à agir de nos jours comme une méthode propice à exposer le fonctionnement des choses, tel que Spinoza l'avait intuitivement compris à son époque. En exposant méthodiquement son propos, Spinoza continue de promouvoir en nous, ses lecteurs, ses lectrices, une activité propice à épanouir en nous une des nombreuses voies qui mène au désir de joie en soi.


En me penchant avec le secours de P. Macherey sur cette Nature des choses  (Éth. I), je comprends encore mieux pourquoi ce même PM a choisi d'écrire son introduction dans un ordre qui ne suit pas celui de la présentation par Spinoza. Ardu est l'adjectif qui me vient naturellement à l'esprit en me (rerere...)plongeant dans cette première partie: en effet, le tableau ci-après donne cet ordre.

Rang Partie de
l'Éthique
Année de parution
de l'Intro de PM
Disponibilité
à l'achat
 1 Éth. V  1994 V
 2 Éth. III  1995 en réimpression
sans date
 3 Éth. IV  1997 V
 4 Éth. II  1997 V
 5 Éth. I  1998 V

PM s'en explique d'ailleurs assez joliment (Intro V, 18-19) en dégageant une nouvelle règle de lecture de l'Éthique au moyen d'un raisonnement qui « effectue une sorte de mouvement en spirale qui trace autour de son contenu spéculatif des cercles concentriques tendant ... vers une compréhension maximale de ses enjeux théoriques et pratiques. »

  Spiralons-nous donc une vie de lectures creusantes en replongeant dans la 5e partie !

 

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Aphorisme, comme ça...

« La retraite est une chose merveilleuse,
qui libère de terribles puissances.
& elle donne au silence de grandes douceurs. »
Gilles Deleuze, dans une lettre adressée à Arnaud Villani,
publiée dans L'abeille & l'orchidée, p. 149.

 

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