Dans La nacre et le rocher, une autobiographie (éditions Encre Marine (groupe Belles Lettres), 2012, Robert Misrahi consacre plusieurs pages lumineuses à l'inconscient pour en récuser l'existence.

Il était concerné au premier chef: son épouse, qui avait, comme lui, fait des études de philosophie - c'est là qu'ils s'étaient rencontrés d'ailleurs ! - était par la suite devenue psychanalyste tandis que lui devenait professeur de philosophie dans le secondaire puis à l'université où il s'est spécialisé dans le spinozisme, à l'écart des médias, dans un remarquable travail de fond. Jamais de différend dans le couple cependant !


Citations choisies entre les pages 211 & 215:

« Les actes qui sont attribués à "l'inconscient" » par Freud ou Lacan « sont en fait issus du sujet conscient, lorsque sa confiance est obscure ou confuse... (212) Je n'oppose ... pas la conscience & l'inconscient, mais la conscience plus ou moins obscure à la conscience plus ou moins claire, & ces mêmes consciences (la vie immédiate) à la réflexion explicite et organisée.

... Cette obscurité de la conscience peut aussi être le fruit d'un refus, c'est-à-dire d'un acte implicite de refus. Si cet acte souhaite rester obscur ou caché, on peut alors parler de "mauvaise foi"...

213 La psychanalyse comme l'éthique que je défends souhaitent faire passer l'individu quotidien & passionné (passif) à une plus grande maitrise, c'est-à-dire à une meilleure conscience de soi, à une meilleure réflexion créatrice, à une meilleure autonomie.

... La philosophie & la psychanalyse recherchent le même but: faire du sujet son propre souverain & le rendre capable d'accéder à la joie. Quant à la question centrale des moyens, ... on ne passe pas directement de l'inconscient insaisissable à la réflexion souveraine, mais l'on passe progressivement d'une conscience obscure à une conscience plus claire & d'une conscience claire à une conscience réfléchie. »

L'obscur, la clair & le réfléchi

213 « Je comprenais clairement qu'il fallait d'abord être déjà libre (fût-ce dans la "passivité") pour être en mesure, ensuite, de se libérer & d'accéder à l'activité & à la joie. »

... « L'instrument de la libération ... c'est le sujet comme liberté... Le processus de libération ne peut être qu'un mouvement du libre Désir.
214 La volonté n'est qu'un mot, une entité abstraite & inexistante. Seul le Désir peut motiver une action... [il] peut se motiver... lui-même à rechercher son propre accomplissement. ... Ce serait une erreur de définir le Désir par le manque comme le font tant de nos contemporains philosophes et psychanalystes. ... De là découle ce que la pensée contemporaine appelle "le tragique".

Ma conception est aux antipodes, dit toujours R. Misrahi. Le manque est posé & défini par le Désir & il en est la motivation en même temps que le moteur.

C'est parce qu'il se fait manque qualifié d'un objet & d'un plaisir précis, que le sujet désirant... peut se mettre en mouvement & poursuivre ce but qui lui manque & dont l'obtention le comblera.

... Le "manque" justifie donc le mouvement & sa joie, le désir & sa jouissance, & non pas la tristesse et la "béance".

215 Le Désir-sujet.. est ... la seule réalité, la seule énergie qui puisse être source d'action. Il n'y a là aucun idéalisme, mais au contraire un réalisme attentif à la véritable nature de la réalité & de l'action. (mots-clés mis en valeur par mes soins).


Les croyances... les mythes... les rites...» Il s'agit de s'en éloigner, s'il est possible. Je consacrerai un autre article à la conversion chez Robert Misrahi; ceci déjà pourtant, car cela me semble éclairer le processus qu'il voit à l'oeuvre pour la mise en joie de l'individu.

Dans le même ouvrage, il s'étend longuement sur la conversion à deux endroits. Ici (277-279), je voudrais me concentrer sur les trois renversements que notre auteur détaille dans le processus de conversion - j'aurai à dire (voire à redire !) sur le choix de ce vocable:

1. premier renversement

Il s'agit d'inverser les perspectives cognitives sur le monde. « À partir de ce premier renversement, une porte s'ouvre sur l'avenir du sujet: puisque déjà il invente les symboles & les situations, il est capable d'inventer encore, & d'inventer autrement & autre chose. Capable de créer mes valeurs & mes buts, je puis me concentrer sur ma nouvelle orientation, sur mon nouveau désir. » 278

2. Deuxième renversement

« Le premier fut opéré par l'intelligence. Cette nouvelle inversion sera opérée & par l'intelligence & par l'affectivité. Il s'agit de renverser, d'inverser l'orientation du Désir. Au lieu de le vivre comme un mouvement absurde, comme la vaine tentative de combler un manque indépassable, on peut le vivre comme étant la très légitime recherche du contentement & de la joie. Le Désir n'est pas condamné à l'échec, il est la perpétuelle reviviscence du mouvement vers la satisfaction & la plénitude. » 279

3. Troisième renversement, le renversement du regard sur l'autre

Au lieu de traiter l'autre « comme un objet & un instrument (femme "soumise", esclave "monnayable", ouvrier "corvéable"), il s'agit de le traiter comme le sujet qu'il est. Au lieu de déployer des relations de calcul et de réversibilité (par violence ou par "contrat"), il y a lieu, au contraire, de déployer des relations de réciprocité. L'amour & l'amitié, la coopération & la solidarité pourraient ainsi être totalement renouvelés & ouvrir sur une autre vie & sur le "tout autre". » 279


Il n'est pas impossible que ceci soit même susceptible de convaincre... ;)


Recherche

Statistiques

Membres
4
Articles
3565
Compteur de clics
8327831

Aphorisme, comme ça...

« La retraite est une chose merveilleuse,
qui libère de terribles puissances.
& elle donne au silence de grandes douceurs. »
Gilles Deleuze, dans une lettre adressée à Arnaud Villani,
publiée dans L'abeille & l'orchidée, p. 149.

 

Textes récents

03 10 23 Sarah Bernstein, A study for obedience

20 09 23 Les trois écologies de Félix Guattari

11 08 23 Déradotages

18 09 23 L'âge de la fragilité, Geneviève Azam

16 09 23 Charlotte Milandri, AU SOL Premier roman

29 08 23 Quelle croissance pour l'humanité ? Michel Juffé

27 08 23 Comme des fous, Françoise Davoine

25 08 23 Un OLNI littéraire: La version, Debora Levyh

16 08 23 Une correspondance transtemporelle entre Spinoza & Freud orchestrée par Michel Juffé

14 08 23 Un café avec Spinoza

09 08 23 Ce que dit aussi le Bhagavad Gita de la béatitude

08 08 23 S'attendre à l'imprévu pour le diriger (Frédérick Keck, Préparer l'imprévisible: Lévy-Bruhl et les sciences de la vigilance)

01 08 23 Francis Ponge, Méthodes

31 07 23 Le dépossédé et Les graphies d'Éros (Jacques Abeille/Léo Barthe)

29 07 23 Schizophrénie numérique, Anne Alombert La fin d’une époque – les conditions du vrai L’enjeu des affrontements

28 07 23 Tout ce qu'un homme digne de ce nom...

27 07 23 Les barbares, Jacques Abeille

27 07 23 Hildegarde, Léo Henry

21 07 23 Troubles dans les frontières, toujours chez Jacques Abeille dont l'ensemble du cycle se relit pour la nième fois, avec toujours autant de délices et orgues !

16 07 23 Les voyages du fils, Jacques Abeille

13 07 23 La clef des ombres, Jacques Abeille

26 06 23 Les arts situés au Trinkhall Museum, Liège

05 05 23 Une appropriation épurée: le propre du sujet, J F Billeter

24 04 23 Svâmi Prajnânpad vu par Prakash: aphorismes

19 04 23 Se naturer, c'est endosser sa nature propre

13 04 23 Le sens de la mécanique quantique, selon Carl Rovelli

06 04 23 Reprises avec la tenue de l'esquisse, Jean François Billeter

25 03 23 Compléments apportés à Un paradigme, Jean François Billeter

22 03 23 Une mise à jour, un léchage en quelque sorte de Le corps-concience d'après Jean François Billeter

21 03 23 Sous la couette D'une respiration s'élancer...

2 2023 Deux méditations sur les philosophies de l'Inde et sur Spinoza

1 2023 L'alvéole des carrefours,texte amendé /
Hivernales épisodiques