DAY ONE

Face à l'absence de silence d'humains proches,
il y a lieu de pleinement sortir du jugement
pour accoster aux rives de l'indifférence
bienveillante, ouverte au monde

pour laisser libre cours à
ces conversations quotidiennes confiantes
avec d'autres badauds, des
artistes exposant leurs oeuvres.

La vie se teinte ainsi d'une
meilleure puissance sage

à agir en être de nature
car elle « ne désire rien,
n'a aucune orientation ».*

* Michel Juffé, Quelle croissance pour l'humanité ?, 77.

Cette bienveillance indifférente
à ce qui n'est pas soi

favorise une meilleure conduite sage
de sa puissance à agir.

L'expression vient de Spinoza


C'est possiblement pour de
pareils retours en soi
qu'un
tel voyage s'entreprend.

Cette baie-refuge à fond de France est peu connue. Un oeil rénové va s'y déployer. Une semaine. davantage n'aurait pas convenu. L'esthétique n'étreint pas ces petites gares laissées en déshérence. Le TER Occitanie termine sa course à Port Bou. Une pensée pour Walter Benjamin auquel un colloque aura été consacré après mon retour.

Le défilé du paysage est un trainé oculaire informatif;
terres sèches, souvent trop rases,
monocultures, trop de (sa)pins

dans cette campagne que la ville délaisse.
Plusieurs rivières enjambées;
des ramasseurs à l'oeuvre.

L'attachement au havre...
Y incorporer un peu de diversité
sera favorable au corps.

Une retraite d'écrivain à Collioure.


SECOND DAY

7h30
Fructueux regard
déposé sur la matière même
du paysage anticipé.

Le goéland possède la pavée.
Il y gambade sans efforts.
Quelques nuages filtrent la lumière d'Est.

S'y cueille tôt la présence du silence,
un privilège finalement.
L'arôme d'une tisane trempée d'une baie bien mûre...

Les hommes oublient
jusqu'aux symboles patrimoniaux,
religieux dans ce cas,
qu'ils offrent aux vents, aux pluies,
en proue d'un monde.
Ce Jésus en croix s'offre à qui s'en approche.
De loin, seul le bois de ses assassins
se détache sur le fond du ciel,
comme un rappel de tortures anciennes.
Comment une religion a-t-elle pu relier les hommes
avec pareil symbole hérité des Romains ? 


16h45
La fraicheur ventilée de l'ombre
fait source bienvenue au corps
Une cueillette, capsules d'eucalyptus.

Une bibliothèque intérieure cèle d'heureuses rencontres: quatre volumes-année d'une revue, L'ouvrier, des années 1870. D'origine chrétienne et bourgeoise. Feuilletages.

Une retraite d'écrivain à Collioure: une semaine suffit à ce havre oculaire.


THIRD DAY

12h05 Forts carré & rond (XVIIIe)

L'afflux de fiertés corporelles reconquises
se manifeste par cette joie,
simple, réelle inondant le soi.

Un muret de contrefort intérieur au fort carré
accueille l'assise du corps,
ombre bienveillante d'un olivier.
Un créneau anciennement militaire
dégage une vue sur la baie d'Argelès-sur-mer.
Les maisons du Pla des Forques,
plus récentes que celles du centre,
sont d'élégantes demeures
bien protégées par pierres de pays
contre les intrusions;
l'absence d'excès de mauvais goût
étonnerait presque.



13h20 Retour place Leclerc, le général.

Une innocence intuitive

Le soi s'est fait confiance, muni d'infos lues & retenues la veilles, en se dispensant de les avoir inutilement glissées dans un sac qu'il aurait alourdi pour rien. Un chemin se faufile, entre ce Pla et la rue Romain Rolland, en pente parfois raide se terminant par des marches accueillies avec soulagement !

Un groupe d'amis débarque du train ou de voitures (parquées sur l'aire dégagée par l'ancienne arêne des exécutions capitales de bovins, démontée en 2012 m'apprendra une annotation de la propriétaire dans un ouvrage sur Collioure du début du XXe) & s'agglutine, contents, devant une carte de la localité; mais n'avoir nul sens de la lecture de cartes & finir par demander au Monsieur qui « garde » une galerie qui n'a pas grand chose à voir avec l'art. Le geste vague qui termine sa réponse à la question probablement vague qui lui a été posée ne semble pas avoir convaincu plus que ça ce groupe d'amis. Il se retrouve brièvement à nouveau face au plan avant de s'engouffrer dans la rue Pasteur.

15h, appart

Donner raison au rationnel qui visait la réappropriation du corps, la découverte de son neuf potentiel allégé, sans autre exigence que le plaisir à l'effort. L'excès de toute performance disruptive se tient éloigné.

16h50 avancée terminale de la jetée du port de plaisance

Le caplotis de l'eau lèche le bord bétonné.
Une solide tramontane l'emmène,
elle me décoifferait même bien si...

Solaire, elle s'accompagne de musique intime
au creux des conduits auditifs.
Grand coup de balai fait aux nuages

éloignés de l'extrême bord de côte.
La tour Madeloc, visible,
est sommée de nuages torturés.

Cette position en proue de baie
offre au corps une aération,
une pulsation énergétique continue,

contenue encore,
il n'est nulle question de déchainement,
soutenue pourtant, température douce.

Un pull peut s'annoncer en soirée.
Vu de la tour carrée,
ce mur parait enfin pour ce qu'il est vraiment:

Un rempart
bien fragile
contre la mer
qui monte.

Les trois occupants âgés
du voilier amarré
en milieu de baie
sont ramenés à bord du bombard
de la gendarmerie:
est-ce bien réglementaire, ça,
(leur) Commandant.

À force d'exercer une attention sereine mais sans failles - qui seraient une faiblesse - à ses pas, le corps adhère davantage à la trace de son chemin. La confiance peut alors s'exercer, pour autant qu'aucun relâchement n'ai lieu. L'assurance meilleure résultera de cette adhésion. Il s'agit de la construire de l'intérieur, les chemins d'énergie en sont officiellement chargés ! (nadi, voir A. Padoux, 125-6). Il s'agit de ne jamais se conduire dans la zone d'inassurance.

Cette exigence sereine à être soi est porteuse d'une forme d'innocence intuitive. Elle rend cette semaine d'écartement du havre pleine d'imprévus heureux, de densités apprises, en prise à même le corps qui s'exerce à accroitre sa confiance en soi en vue de conduire l'énergie par des canaux énergétiques davantages assurés.

20h10 Faubourg

Martinets & goélands font bombance sans vague à l'âme.

21h50

Le tour du soir m'a porté dans le confort d'un pull léger, d'abord en bout de jetée où s'exerçait un trompettiste, tandis que son fils était affaire à sa canne à pêche. Plage Nord puis muret au pied du clocher, dans l'ombre d'un spot défectueux. Ici aussi, le rivage a la jaunisse !
Les vagues sonnent avec clarté dans ces appareils qui s'y exercent pour la première fois. L'oreille ainsi appareillée détaille les sons autochtones avec une précision renforcée.


DAY FOUR

Le mets acclimate le réel.
Temps de latence calme.
Vois là, cette militarisation sonore de la baie

résonances vocales de petits & plus hauts gradés
martelant instructions à ces jeunes recrues
venues frotter leur machisme au centre d'aguerrissement...

Cette soumission me désole.
Ce chemin des consciences sera
long à faire naitre au coeur de ces badauds

dont « la curiosité s'arrête
devant des spectacles futiles ». (tlfi)
Ils mourront avant.

La réappropriation corporelle d'un espace,
l'aisance mesurée en plus,
contribue à la meilleure forme de soi.

Dans la nature, nous écrit encore M. Juffé, il n'existe rien de contingent. La nature spinoziste inclut tout l'univers 25. « Ce qui nous apparait comme contingent provient de notre ignorance des enchainements entre causes & effets 24. » Cette ignorance est en amont des trois genres de connaissance que Spinoza fait siens à deux reprises: dans le TTP puis dans l'Éthique.

C'est bien à moins ignorer puis à mieux comprendre ces enchainements en soi & hors de soi que cette quête nullepartienne s'est attachée. « L'univers n'a rien de contingent parce que tous les évènements qui s'y produisent suivent toujours les mêmes règles. » La loi de la gravité est universelle comme le sont celles de la relativité restreinte puis générale. Cette universalité signifie que ces lois ne souffrent d'aucune exception, ne dépendent pas des circonstances.Des bifurcations restent bien sûr possibles dans le cadre de ces lois universelles.


DAY FIVE

Cette vie-ci se consacre désormais à développer cette meilleure conscience de soi. À mesure qu'elle s'améliore recule concomitamment l'ignorance dans laquelle nous sommes de la manière dont les causes s'enchainent aux compétences en notre sein même. Quelques hypothèses sur certaines causes de quelques effets constatés s'élaborent alors: de possibles, un petit nombre de causes deviennent probables sans jamais vraiment atteindre le seuil des certitudes acquises.

Être devenu capable de formuler pareilles hypothèses éloigne de fausses certitudes acquises une fois pour toutes. Remettre en cause toutes ces certitudes figées assouplit en soi une vision du monde bien davantage réaliste puisqu'elle prend en compte le réel réglé par des lois universelles.

8h15
En pareils instants,
quasi-solitude
face à la baie, s'arrime une joie au soi.

Earl grey tea in the white teapot, Terra Etica.

Lumière blonde,
comme assise sur le paysage
qu'elle met en valeur.


SIXTH DAY

« Juste le temps de se souvenir
qu'il faudrait jamais partir. » F. Gall/M. Berger

Marcher la ville
d'un pas assuré
plantant le pied
sur un plan large.

Toute une semaine à l'exercice libre
d'un droit de regard magique
sur une baie à l'ancrage secondaire.
***
Une table affrontant la baie du port d'Avall
papilles posées sur
un café allongé.
***
S'abstraire du bruit du monde
convient au corps d'écriture.
Square Caloni, au retour

Cet appareil aura valu
une bien intéressante papote
au baroudeur à la guitare

avec l'intello absorbé
en son carnet rouge:
- Je peux vous demander à quoi sert

cet appareil ?
- Bien sûr...
Ainsi cela démarra-t-il !

Le reste appartient
au secret
du colloque singulier.


Jour final: déshérence mal garée

Retour au long temps d'arrêt
en cette impersonnelle gare montpelliéraine
hors sol & au charme absent.

Namur-Montpellier même combat:
la dalle livrée aux commerces
assombrit les voies.

Sièges en portions congrues
pour les trop nombreux passagers en transit.
Mais pourquoi la sncf a-t-elle supprimé la liaison directe ?

Elle ne s'y prendrait pas autrement
si elle voulait que ses passagers la désertent
au profit de l'avion...