Essai

Note liminaire sur les hyperliens dans cet essai (et sur ce site en général)

Cette note n'en contient évidemment aucun

Les hyperliens sont une ressource précieuse pour une écriture qui se tient, par choix, éloignée du commerce du papier édité; ils caractérisent les nombreuses écritures qui s'épanchent sur la toile & alimentent aussi celle-ci◊  Ils sont une manière de suggérer des arborescences entre notions voisines◊

Un des avantages majeurs d'écrire uniquement pour la toile, cet espace virtuel, est la capacité d'utiliser cette ressource du langage html bien utile que sont les hyperliens◊ J'en (ab)use d'abondance car cette plume-ci, derrière son écran, n'en est pas à son premier essai...  Nulle Part cèle derrière ses menus déroulants plus de 2600 textes, à la fois poétiques en son écritoire et en prose, dont pour cette dernière, de très nombreux essais de nature philosophique qui s'abritent derrière les radicaux libres◊  La page de bienvenue (accessible en haut à gauche) recèle, elle, moult hyperliens◊

 Se construit sur Nulle Part, à l'abri de l'individuation des regards portés sur soi, noyé au creux de la multitude anonymisante, en pleine lumière authentique pourtant, un oeuvrage singulier au long cours qui va au-devant de concepts ouvrés sur l'établi d'artisan en amateur-expert de philosophie–: « Nous appelons 'amateurs' ceux qui aiment & ont acquis une grande expertise de l'objet de leur passion◊ [Ils peuvent mettre] en oeuvre un savoir différent de celui des scientifiques », des académiques◊  Cette citation figure dans la note 40 figurant à la page 75 de Composer avec les moutons (V. Despret et M. Meuret sur ce site); elle a éveillé un double intérêt: ici pour la définition de l'amateur-expert; dans l'ouvrage pour une autre préoccupation; l'ensemble de l'ouvrage est d'ailleurs fort intéressant◊

Se forme en ce non-lieu une aventure singulière de créativité peut-être même bien spéculative; le mot adventure fait partie de l'équipage Whiteheadien◊

Bien sûr, ignorer les hyperliens est toujours possible, c'est l'espace de liberté qu'ils incluent aussi; ils relèvent de l'acte décisif de chacun·e derrière son écran◊  Ils constituent cependant un pendant des bibliographies exhaustives d'articles & ouvrages davantage académiques... Les hyperliens étoffent le matériau virtuel présenté, l'épaississent en quelque sorte, lui offrent une amplitude multidimensionnelle◊

Ces précisions étant apportées sous forme condensée (si si !!!), il est temps d'aborder The heart of the matter


Bruno Poncharal

Dans la continuité de, & conforté par deux articles écrits par Bruno Poncharal pour la revue de philosophie en ligne NOESIS,

embarquement au long cours dans cette belle prose philosophique whiteheadienne intitulée Modes of Thought (Modes du penser, proposition de traduction): ces neuf conférences à la fluidité toute anglo-saxonne ont été rassemblées par leur auteur en 1938 pour constituer un volume◊  S'offre dans cet ouvrage, à la postérité intéressée, une synthèse très dynamique de l'approche originale qu'il fait de la philosophie analytique◊

Les deux articles de Bruno Poncharal offrent, eux, une approche lumineuse du style de Whitehead dans sa dernière oeuvre◊  Ils sont un plaidoyer pour tout·e philosophe à lire le texte dans la langue d'origine & et à ne pas dépendre de béquilles traductives◊  Ce point de vue est développé sur Nulle Part par ailleurs


Prendre un·e philosophe par la fin

La décision d'aborder la dernière oeuvre d'un·e philosophe n'est pas neuve sur Nulle Part:

  • déjà Poétique de la Terre était à l'époque de sa parution la dernière somme en date d'Augustin Berque; il a bien sûr continué à publier & moi à le suivre de plus loin◊ 
  • A suivi L'Éthique de Spinoza; d'autres par la suite◊
  • Voici maintenant Modes of Thought qui est une manière de « grasp the topic in the rough », comme le formule Whitehead dès la page 6 à propos du « development of intelligence », qui, par ailleurs, se verrait bien proposé comme quasi-synonyme de good sense figurant dans le dernier paragraphe de la neuvième & dernière conférence (voir plus bas sous le titre La dernière phrase de l'ouvrage)

Lire dans le texte (in the rough) sans l'intermédiaire d'une traduction puisque j'ai, comme je le détaille plus bas, après le titre D'où je parle ?, développé mes capacités d'accès à la littérature mondiale en langue anglaise en tant qu'angliciste◊  Se lisent indifféremment le français & l'anglais; les compétences ne s'originent pas à mêmes sources, mais les fleuves qui s'en écoulent son de débits similaires – vitesse de lecture notamment, mais aussi ampleurs lexicale & syntaxique ainsi que l'usage intuitif de la langue◊

C'est d'ailleurs au nom d'un raisonnement similaire que s'est aussi mis en ligne une levée de lièvre prépositionnel à propos du dernier et très utile ouvrage publié par Monsieur Didier Debaise◊  L'apparemment (je ne ai pas eu cette traduction en main) très insuffisante traduction de Modes of Thought en français chez Vrin (2004) plaide également en faveur d'un accès direct au texte◊  Si vous lisiez cet essai sur le lièvre prépositionnel, vous y sauriez qu'il n'est pas obligatoire d'être angliciste pour aborder Whitehead dans le texte original; des stratégies de lecture experte d'une langue étrangère sont intégrables (voir ci-dessous)◊  Des compétences de lecture sont disponibles à des lectrices & lecteurs ayant déjà une maitrise satisfaisante de la langue anglaise◊  Voir le très utile Niveau Seuil mis au point par le Conseil de l'Europe à ce propos◊  Il inclut notamment une mise à jour récente de descripteurs incluant aussi la langue des signes◊

Le parcours qui s'entame ici pourra sembler à priori décousu mais il est (sup)posé qu'en cours d'assemblage (le terme est de Whitehead), il pourrait s'(auto-)organiser dans une forme de cohérence évolutive◊  Ou pas◊  En voiture, Simone !


Philosophie analytique, kesaco ?

Dans Philosophie Magazine, février 2017, un entretien avec Ruwen Ogien◊ Conceptuellement minimaliste, il vient, à l'époque, d'écrire un ouvrage intitulé Mes Mille & une nuits, la maladie comme drame et comme comédie (Albin Michel, 2017)◊ À la page 72, il caractérise la philosophie analytique de belle manière en mettant quelques caractères définitoires textuellement en balance avec ceux d'un système philosophique: le tableau ci-après les présente◊ L'auteur est décédé depuis la publication de l'ouvrage, qui reste un guide pour les souffrant·e·s, notamment hospitalisé·e·s◊

Caractères définitoires
Philosophie analytique

Philosophie

[Système philosophique]

Enquête conceptuelle* Histoire des idées

Construction d'hypothèses qui pourraient être

- confirmées ou

- réfutées

Bavardages hermétiques
qu'on ne peut pas contester

 Invention de divisions conceptuelles originales  Exégèse des grands auteurs
 Clarté, sobriété, brièveté  Jargon répétitif, interminable, inintelligible
 Ruwen Ogien voit l'humour & l'autodérision comme des moyens de faire la philosophie analytique.  L'humour & l'autodérision sont des obstacles  à la pensée, [à la formulation d'un système philosophique].
 L'humour démocratise la philosophie en essayant de neutraliser le côté intimidant de cette discipline.  La philosophie ne neutralise pas le côté intimidant de cette discipline.

* En terminologie notionnelle, concept & notion sont des termes de sens voisins, de quasi-synonymes; ils sont souvent librement utilisés & l'un & l'autre l'un pour l'autre◊


La dernière phrase de l'ouvrage d'Alfred North Whitehead, proposition de traduction personnelle

« Philosophy is akin to poetry, and both of them seek to express that ultimate good sense which we term civilization. In each case there is reference to form beyond the direct meanings of words.
« La philosophie est proche de la poésie; de plus, elles cherchent toutes les deux à exprimer cette intelligence ultime que finalement nous appelons civilisation. En tout cas, il y est fait référence à la forme, au-delà des sens directs que prennent les mots.
Poetry allies itself to metre, philosophy to mathematic pattern. »
Alfred North Whitehead, Modes of thought, éditions Free Press de 1968, p 174. Dernier para-graphe du livre◊
(Formellement,) la poésie s'allie à la métrique, la philosophie à la structure mathématique. »

 

Cette proposition de traduction est probablement sujette à controverse à l'ULB puisque j'ai l'impression, non la certitude car je ne sais pas quelle expression Whitehead emploie dans son ouvrage que l'équipe de spécialistes de sa philosophie a traduite par sens commun◊ J'ai l'impression donc que l'équipe a traduit ce good sense par sens commun, agissant par calque◊ Il s'agit d'un procédé technique de la traduction parfaitement légitime & légitimé◊ Good sense a en anglais pour synonyme commonsense; good sense est en effet mentionné comme synonyme de sense par le Robert&Collins◊ Je ne "sens" toutefois pas la phrase de Whitehead comme voulant se laisser traduire par sens commun parce que je traduirais commonsense/commonsensical par

  1. (de) bon sens,
  2. ou par Cela tombe sous le sens,
  3. Cela va de soi , en somme
  4. Cela tient de l'évidence même◊

D'où je parle ? D'où sourd l'autorité affirmative, posée, calme qui s'exprime dès cette première note sur l'ouvrage ?

Un peut vous aider à mieux cerner qui anime cette plume nullepartienne Je ne vois rien à y ajouter, n'étant pas dans un processus de justification de type académique sur Nulle Part & dans cette partie plus libre que jamais de ma vie◊ Il va de soi que transformer une impression intuitive en certitude par « appel à l'équipe d'expert·e·s » est d'un intérêt certain qui se présentera peut-être un jour◊

Cet *in-besoin, cette non-nécessité académique n'empêche évidemment pas d'exprimer ma fougue anglophile en général & mon plaisir à lire cet ouvrage sans exégèse externe au nom de gestes intégrés en cours de carrière (English for Special Purposes, ESP) Celle-ci, désormais close, s'est entièrement déroulée dans l'enseignement supérieur de type long (maitrise en deux cycles & d'une durée de 5 ans) auprès d'ingénieurs industriels en agronomie, en textile d'une part, &, plus brièvement, auprès d'architectes du paysage & de traducteurs-interprètes◊ J'ai également enseigné à des technologues de laboratoire en chimie clinique, des horticulteurs et des architectes-paysagistes dans un bachelier professionnalisant en un cycle de trois ans J'ai enfin fait partie de l'équipe de terminologues notionnels au sein de Termisti


Boîte à outils de la philosophie analytique, version Alfred North Whitehead

La découverte d'un nouveau domaine de spécialisation, celui de la philosophie analytique, se fait, en ce qui concerne Whitehead, au moyen de ces trois ouvrages, & notamment leurs tables des matières analytiques & l'index du premier paru:

2002 2006 2016

 

Ces trois outils me permettent d'intégrer progressivement des gestes de nature philosophique qui me sont moins familiers en ce qui concerne la philosophie analytique Ils équivalent, dans cette pratique du geste de l'intégration, aux ouvrages de R. Misrahi pour aborder l'oeuvre de Spinoza


Sur le geste de l'intégration, voir le très intéressant point de vue de Jean François Billeter Voici ce qu'il en dit dans Un Paradigme sur Nulle Part:

Chaque geste s'intériorise progressivement. La perception intérieure du geste [maîtrisé] reste présente à toutes les étapes. L'intention n'est pas seulement une cause qui précède le geste, elle l'accompagne [pendant la survenue du geste] jusqu'à la fin. Cette esquisse offre un luxe descriptif de micro-étapes qui ont lieu quand nous posons avec succès un geste intentionnel. I n°4 p 14

« Le geste fournit un paradigme, celui de l'intégration. » C'est au moyen de l'acquisition progressive d'un geste nouveau de mieux en mieux maîtrisé que l'auteur nous fait saisir l'idée centrale de sa proposition de paradigme: l'intégration. Le paradigme mis au jour par l'auteur est centré sur la relation « entre le degré d'intégration de notre activité et la qualité de ce que nous éprouvons, à un moment donné, comme la réalité présente ». Un paradigme, V, n°21 p96 & VI, n°26, p 117. Plus un geste est intégré à la matrice corporelle, plus il devient maîtrisé. I n°5 p 18


L'écriture experte

Les deux ouvrages de Monsieur Didier Debaise font montre du pendant créatif de la lecture experte; ils déploient une écriture entièrement au service de notre meilleure compréhension de la philosophie de Whitehead◊ La plume de l'auteur est en effet trempée dans une encre au rendu à la fois empreint de clarté & de transparence par rapport aux notions que ses ouvrages abordent◊ Cette expertise d'écrivain rend ses deux ouvrages en tous points utiles à aborder Whitehead par ces pentes douces que le regard intérieur qui anime aussi ma plume se plaît à comparer aux pentes confortables des contreforts pyrénéens, du côté de Collioure...

Celui de Madame Isabelle Stengers, Penser avec Whitehead, aborde l'Everest whiteheadien par la face Nord, comme la majorité de ses ouvrages ! La suivre est toujours extrêmement stimulant (toute son oeuvre a fait l'objet d'une lecture attentive de ma part - & souvent, je dois bien l'avouer, désolée devant mon incapacité à en comprendre les Arcanes Majeures) La suivre devient gratifiant ... pour celles & ceux qui atteignent le sommet, mais tant de sherpas pourtant aguerris se sont égaré dès les premières difficultés...

J'ai encore fraiche à la mémoire cette anecdote vécue:

Lors d'un débat autour d'un autre ouvrage de Madame Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2008, tenu à Liège le 12 11 2009 au centre polyculturel en résistance, j'ai été frappé par les nombreuses interventions marquées au sceau de l'incompréhension du texte lu par les personnes dans l'auditoire**. Et la conférencière de redresser l'incompréhension, d'essayer d'apporter un peu de lumière dans nos tunnels peuplés d'ombres. Ah, si l'auteure pouvait en conclure qu'il est possible de penser la complexité en écrivant simplement ! Cette anecdote est extraite d'une note de lecture sur Nulle Part. Je ne sais pas si j'écrirais encore la dernière phrase de la même manière aujourd'hui !

** À côté de quelques interventions seulement destinées à démontrer un savoir-dire qui n'est pas apparu clairement, vu de la salle...


Madame Anne Vièle se place dans mon panthéon personnel au rang de sherpa aguerrie: d'une postface habitée de l'intérieur à La Sorcellerie capitaliste (1999), elle m'a permis de me raccrocher à la cordée hymalayenne de l'ouvrage◊ Je ne dois pas avoir été le seul lecteur/la seule lectrice◊ Grâce en soit rendue aux deux plumes principales de l'avoir embarquée dans la postface du livre◊ Relire ce dernière après avoir assimilé la postface a donné lieu à des tas de « Mais bon sang, c'est bien sûr ! », à la façon du Commissaire dans le feuilleton Les cinq dernières minutes◊ Cet ouvrage est d'ailleurs peut-être bien une balise importante sur le chemin de Civiliser la modernité ?


Abstraire

Abs-traire est un processus, non un état Sa dynamique, différente d'ex-traire, envisage le retrait du tout, non hors d'un tout qui serait alors une entité en soi, mais comme une ab-s-traction vers un ailleurs◊ Le Robert historique signale que ab vient du grec apo (comme dans apocalypse) recouvrant notamment la notion de séparation◊ Il pourrait dès lors s'agir dans le geste d'abstraire aussi d'une traction qui sépare

L'index à la fin de l'édition chez Free Press de Modes Of Thought (MOT) repère deux passages dans lesquels Alfred North Whitehead (ANW) développe ce qu'il entend par abstraction.

Cette partie est déjà manuscrite sous forme de notes développées dans le carnet 174 Votre patience est sollicitée pour la suite au clavier Elle ne saurait tarder mais il n'y a pas que la toile dans la vie, il y a aussi la vie...