La main trouve & l'esprit répond; Zhuang-zi, J. F. Billeter cité par Claude Romano, Être soi-même, Une autre histoire de la philosophie, 221.

Le naturel consiste à agir sans faire. id, 616 Ce naturel est acquis au terme d'un long exercice.

La main semble courir devant l'intention. id 221

La nécessité atteinte dans & par le naturel est comme le plein épanouissement du naturel acquis au terme d'un long exercice. Seul·e qui se laisse porter par le tao ... parvient à faire corps avec lui.

La culture chinoise

  • illustre vivement ce phénomène subtil d'une ctivité parvenue au sommet du naturel,
  • & thématise l'attitude intérieure qui la sous-tend.

La nonchalance du sage qui sait éviter l'usure des soucis,
le laisser-aller,
l'extravagance qui caractérise certains esprits

  • très raffinés,
  • très exigeants,
  • & portés à juger le vulgaire avec un élégant dédain;

la fantaisie qui se rit des convenances;

l'allure du yi est nonchalante, aisée, fluide, mais elle ne se trouve pas sans travail; la spontanéité est un art difficile.

Le/La calligraphe douée de yi associe laisser-aller & rigueur/sureté/abandon/justesse & rapidité d'exécution. [François Cheng & Fabienne Verdier viennent à l'esprit en lisant ces notes de Claude Romano.]

L'auteur cite un passage de Mi-Fu:

Dans l'étude de la calligraphie, [il faut] considérer comme essentiel [l'art] de jouer avec le pinceau. Cela signifie qu'il faut tenir son pinceau légèrement & [écrire] spontanément, la main & l'esprit restant vides. [L'écriture doit être] rapide, fulgurante, toute naturelle & jaillir de l'idée. C'est pourquoi les écritures des anciens sont toutes différentes les unes des autres. [Des écritures] qui se ressembleraient seraient des écritures d'esclaves.

Le naturel, continue C. Romano (618), est le lieu de la liberté & [cette liberté est] la matrice de la singularisation par le style.

Se singulariser par le style,
avoir acquis, à force de
pratiquer le naturel, un
style singulier.


Style d'approche

La façon dont je suis entré dans ce gros volume extrait de la Léonardienne est on ne peut plus singulière: elle me caractérise en propre; j'y suis entré par l'index: j'y cherchais originellement les passages où L. Wittgenstein était cité; il est aussitôt laissé de côté quand je prends conscience que C. Romano se réfère longuement à l'oeuvre de J. F. Billeter, lue de façon exhaustive sur Nulle Part. Me trouvant en confiance, car en bonne compagnie connue, j'entreprends alors illico la lecture de L'apostille intitulée: Le naturel existe-t-il ?

[APOSTILLE, subs. fém.2. Petite note marginale ajoutée à un écrit pour l'éclairer, le critiquer ou le rectifier. Synon. annotation.]

Ce style d'approche me singularise probablement & résulte de longues pratiques professionnelles antérieures, cumulant la documentologie, la terminologie & plus généralement la linguistique contrastive anglais-français & pragmatique.

Se saisit mieux encore le processus de créativité scripturale à l'oeuvre: la capacité à redire sans trahir, plus simplement [notamment en simplifiant la syntaxe], avec davantage de listes énumératives marquées par un signe typographique, en mettant en oeuvre un vocabulaire de mieux en mieux perçu, employé, maitrisé. Le processus à l'oeuvre n'importe qu'à son créateur/sa créatrice, sans qu'il prenne valeur d'exemple pour tout·e autre que soi, tant chaque cheminement est singulier à la fois dans le temps, dans son parcours & son essence. Tout au plus l'illustre-t-il.

22h35

Dire les interstices du désir inspire
la main; elle se laisse porter par ce flux
intérieur, intuitif, insistant.

Ce processus à l'oeuvre s'autocentre de lui-même, sans intervention d'une volonté dont la conscience tiendrait de la raison. Cette volonté suspendue se constate à postériori. Il est déjà bien décrit; pourtant, il pourrait encore peaufiner sa description — décrire ferait partie du processus — en inscrivant la voie empruntée d'un affleurement possible le reliant à l'intuition procédurale à l'oeuvre, hors rationalité consciente mettant en oeuvre l'esprit en soi mû par une volonté rationnelle.

Les actes de qualification
des caractères définitoires
apparaissant subséquemment à
la manifestation procédurale de l'intuition
doivent encore patienter
afin d'atteindre un degré
de certitude plus grand,
permettant d'en établir
de façon la moins hypothétique
possible les convergences
cheminant au coeur même du
champ préconscient qui se situerait dans
la pièce principale de
la pyramide au coeur du Veilleur du jour
(Jacques Abeille).
Ce parcours dans l'en-soi me parait
relever d'une démarche analogue.
Localiser cette pièce
au sein de sa propre pyramide
intérieure ne souffre pas
de la commission d'une ou de plusieurs
erreurs, dues à la précipitation;
elles égareraient
sur des sentiers de traverse.


C'est en me penchant sur la suite de l'Apostille dans l'ouvrage de C. Romano qu'il est possible que l'écart se réduise quelque peu, tant y convergent sous sa plume des oeuvres marquantes sur le parcours constitutif de plusieurs pièces-maitresse de la Léonardienne.

Être soi-même,
essence qui se réfléchit
dans le reflet du soi.


Plan de l'Apostille

 Titre: Le naturel existe-t-il ? Une apostille philosophique 613

  • Universalité du phénomène ? 613
  • Absence de dessein ? 618
  • Le sophisme du naturel 623
  • Peut-on se donner pour but d'être naturel ? 629-636

L'auteur y rencontre plusieurs objections faites à l'existence du naturel. Mener pareille recherche requiert de développer, à l'extrême possible, les capacités d'observation émanant du corps aux fins  d'en établir des voies procédurales propices à fonder en soi des canaux propres qui soutiendraient la fluidité créative d'une écriture qui assoierait sa pertinence sur des relais sereins & apaisés.

Forcément le temps est un allié. La précipitation tiendrait de l'exaltation brouillant des pistes encore évanescentes & instables.


La table des matières de cette histoire de la philosophie recèle une série de mots-clés qui sont interpelants, originaux, attirants. Je ne suis pas sûr d'être vraiment équipé pour lire & assiminiler cette approche, mais je suis séduit ! Je vous la livre...

La remarque qui me vient spontanément, à la lecture de l'index des noms, est: tiens, Spinoza n'y figure pas...

La réflexion qui succède à la lecture de l'apostille philosophique: ne pourrait-on rapprocher le concept d'intuition, au coeur des trois genres de connaissance selon Spinoza, de ce naturel dont l'existence est questionnée, & dont la triple contestation est finalement réfutée ?


Dans un entretien publié dans Philosophie Magazine de juillet août 2019 (55-59), à la parution du livre, l'auteur explique la démarche poursuivie. Alexandre Lacroix qui dialogue avec lui, qualifie l'ouvrage d'« essai d'une ambition impressionnante ». Citations:

  • J'ai trouvé dans la pensée chinoise des affinités avec certains pans de la pensée occidentale.
  • Le naturel, l'absence d'artifice & de composition de soi sont omniprésentes dans la tradition chinoise. Qu'on songe, par exemple, à la réflexion sur la calligraphie: le maitre calligraphe est celui qui retrouve un geste parfaitement fluide & spontané, qui imite les mouvements mêmes de la nature.
  • Cette question du naturel est aussi au coeur de la pensée taoiste.
  • Mon pari est qu'il est possible de donner un contenu philosophique à l'exigence d' « être soi-même », qu'elle n'est pas seulement une affaire de pub, un effet de mode. La recherche d'une adéquation à soi, d'une forme d'existence en conformité avec son être profond est aussi ancienne que la philosophie elle-même.
  • [Castiglione, Montaigne, Bernard Williams & Rousseau retiennent ensuite l'attention des deux philosophes.]
  • Selon Williams, ... c'est en nous montrant véridique & sincère que nous construisons notre identité. & même que nous en venons à avoir une identité tout court. La sincérité est donc bien à la base de ce que nous sommes.
  • [Thoreau & le poète Emerson retiennent ensuite leur attention.] Ce n'est pas un hasard ... si l'essor de l'authenticité au sens moderne accompagne l'émergence, en esthétique, de l'idée de génie.
  • [Alexandre Lacroix:] Après la nonchalance de la Renaissance & la révolte romantique, vous montrez qu'il y a une troisième voie pour être soi-même, qui consiste à décider du sens de son existence, à se choisir. [Épictète, Marc Aurèle & les stoïciens sont ensuite évoqués.]... Il est assez clair que, des trois voies pour atteindre l'authenticité, — la nonchalance, l'auto-affirmation romantique ou le volontarisme existentialiste — vous privilégiez la première.
  • Cette voie [la nonchalance] qui met l'accent sur les limites de tout façonnement actif de soi m'a intéressé, parce qu'elle était assez négligée dans les histoires de la philosophie.
  • L'expression "être soi-même" [renvoie] à l'adéquation à soi ou à la conformité avec soi. C'est pourquoi il s'agit d'un idéal.
  • La question philosophique vraiment urgente n'est pas "Suis-je mon genre ou mes racines ?" mais "Comment exister de manière juste ?"