Une lecture particulière

La fin d'un périodique indépendant des grands groupes de presse aux allégeances financières multiples et contraignantes pour nos libertés - voir la mésaventure récente de Financité avec la "Libre"* - est toujours un indicateur puissant de malaise pour notre liberté de citoyen·ne d'être informé complètement, de manière responsable & éthique.


* pas libre de critiquer la banque De Groof en tout cas ! Et vous apprécierez, en suivant le premier lien, que c'est Médor, le concurrent direct de 24h01, mais différent dans son approche, qui est apparu en premier dans ma recherche sur duck duck go filtré Belgique en tapant les deux mots-clés Financité & libre...


En y réfléchissant comme simple usager de presse, il apparaît rapidement que quelques erreurs pourraient avoir été commises dans cette aventure.

Quelques erreurs ?

Je n'affirme pas, je n'assène pas. Se dessinent quelques pistes, des suggestions de réflexion par un tartempion venu de nulle part, grand lecteur, avec des tours au compteur... & un passé d'enseignant dans le supérieur.

Même s'il est trop tard pour 24h01.

Ceci ne vaut pas diagnostic évidemment.

  1. Vu du point de vue de l'acheteur, c'est cher, trop cher le numéro. Premier frein. Bien sûr une rémunération correcte des journalistes et du temps pour bien faire son travail - mais voir point 5. Le seuil psychologique de décision d'achat pour un magazine tourne dans les moins de 10€, non ? Et puis, comment fait Wilfried pour maintenir les prix au numéro 9 cts en-dessous de ce plafond, sans faire de compromis sur la pub ?
  2. Le crowdfunding, utilisé comme moyen de financement initial, est, se révèle être un attrape-nigauds; celles et ceux qui y répondent favorablement ne se sentent pas inclus; et, du coup, cela ne fédère pas grand monde au-delà de la mise émotionnelle de fonds de base, et ne se transforme pas, ou pas assez, en acte d'achat ou en abonnement. Médor semble avoir mieux tiré profit de la structure coopérative qu'il a donnée à son entreprise de presse; coopérative de journalistes, utilement étendue à tous les citoyens intéressés. L'animation démocratique est davantage instituée par la structure coopérative et donne peut-être des résultats susceptibles de mieux baliser le long terme pour autant qu'il y soit mis une énergie responsable et informée par le passé.
  3. La périodicité, pleinement justifiée par le temps long journalistique, est une bonne chose en soi; elle apparaît pourtant comme trop distendue dans ce monde qui a l'immédiateté pour crédo. Et puis le positionnement sur le grand reportage fait peut-être rêver davantage le/la journaliste qui part en reportage pour un sujet qu'il a le temps d'approfondir que le lectorat coincé dans la galère des bouclages de fin de mois...
  4. La concurrence. Vu l'étroitesse du lectorat belge francophone disponible, la concurrence était probablement trop importante; il y a eu encombrement de segment, et dès lors c'est le plus fragile qui cède en premier. La pression monétaire exercée sur le lecteur final qui souhaite s'informer auprès de médias indépendants était/est assez forte. La première démarche, gage de solidité financière dans le monde capitaliste qui est la marelle où nous sommes obligés de vivre, serait de fédérer les efforts (j'y reviens aux points 9 & 10) plutôt que de faire chacun son journal dans son coin, en ne faisant pas le poids face aux couvertures flashy dans les points presse; ce ne sont pourtant que des supports de pub, ce que, justement, des lecteurs-citoyens ont appris à fuir comme la peste. Trop d'atermoiements, de minauderies avec le capitalisme peut-être ?
  5. Il faudrait risquer une analyse comparative de contenus. Ceci n'est pas l'endroit pour en entamer une. Lors du premier sauvetage en 2017, j'avais soutenu 24h01 en achetant l'un ou l'autre numéro en point presse, sur base de l'intérêt personnel pour des dossiers réalisés. J'avais, de façon très impressionniste, souvent trouvé le contenu des articles un peu léger. Mais je fais désormais la même analyse avec Imagine Demain Le Monde. Autrement dit, d'une densité lacunaire, d'un intérêt personnel pour les sujets abordés très fluctuant. Peu de ton identificateur, comme on peut en trouver dans d'autres magazines, même généralistes; mais cela a aussi ses inconvénients. En fait, le sentiment, vu de l'extérieur, de lire des individualités qui s'expriment... Des additions de contenus en somme sans unité de ton.
  6. J'ai aussi été frappé par plusieurs plumes dont on retrouve la signature dans deux, voire plusieurs supports de presse belge francophone indépendante. Ce multicartisme, ce pigisme, que promeut le capitalisme, rend la participation à un ton, à une ambiance de magazine très difficile; l'ambiance du magazine se réfugie alors dans une mise en page créative (parfois aux confins de l'illisible, comme certaines pages dans Dérivations...alors que la teneur des articles révèle un fond très solide; mais là aussi, la dispersion généraliste rôde...)   Est-ce bien cela qu'attendent vos lecteurs, vos lectrices, c'est-à-dire celles et ceux qui ont effectivement déboursé le billet de 20€ nécessaire pour vous lire ?
  7. Et si, finalement, la situation de la presse périodique belge francophone indépendante était aussi le révélateur d'une lacune en amont:  les facultés de journalisme ne diplômeraient-elles pas un nombre trop important de jeunes journalistes qui ne trouvent plus, dans les maigres rédactions qui survivent, du temps et de l'espace pour se faire les dents ? Ces jeunes journalistes diplômés sont dès lors contraints de se lancer dans une aventure un peu plus collective (mais la chaleur interne au collectif s'avère difficile à transmettre à l'externe...). La démarche d'insertion professionnelle est évidemment légitime, mais l'individualisme est-il donc la clé de tout ?
  8. Le cycle philosophiquement délétère de l'espoir et de la déception est à l'oeuvre ici aussi, malheureusement. L'adossement du capitalisme aux trois monothéismes en est la probable cause, comme le démontre brillamment Sylvain Piron dans L'occupation du monde.
  9. Et si quelqu'un/quelqu'une prenait l'initiative d'organiser les états généraux de la presse périodique belge francophone indépendante (de la pub et des grands groupes financiers) se réunissait à l'automne 2018, avant que tous les titres ne disparaissent les uns après les autres, dans l'indifférence généralisée ?
  10. Et si fédérer les efforts, les envies, les compétences, n'était pas une si mauvaise idée que ça, après tout ?

En résumé, plein de voyants au vert:

  • l'indépendance financière par rapport à des groupes financiers (inter)nationaux,
  • du temps laissé aux journalistes pour approfondir un sujet,
  • une rémunération qui permet une vie décente, ce que ne permettent pas les piges,
  • une équipe jeune,
  • & quelques rouletabilles pour la transmission d'expérience...
  • pas de publicités - quelques copinages très clairement indiqués & souvent sympas,
  • une éthique solide bien qu'adossée au cycle délétère de l'espoir-déception.

Et quelques erreurs suffisent pour faire capoter l'aventure.

Peut-être une absence de vigilance par rapport au marché hyperconcurrentiel de la presse; un défaut d'attention portée à un tableau de bord où les voyants rouges s'allument les uns après les autres, peut-être.

Dommage, en tout cas.


À trop vouloir entretenir un brouillard immersif entre communication et information, forme et fond, des titres vont et viennent dans ce joli joli monde qu'est le nôtre !


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