Notes assemblées
en vue de procéder
à une étude
termino-philosophique
de l’austérité

Étymologie-sens
Le Grand Robert

 

ÉTYM.1120; « âpre », XVe; lat. austerus,du grec austêros. (XVe-XVIIe). Vx. Qui dessèche la langue, qui a une saveur astringente. Vin austère. ➙ Âpre.
1 Mod.
1   Qui se montre sévère pour soi, ne s'accorde aucun luxe ou plaisir. Un homme austère. Un vieillard austère. ➙ Ascète, dur, frugal, puritain, rigide, rigoriste, sévère, spartiate.— Par ext. Que cette sévérité rend triste, peu agréable à fréquenter. Un compagnon austère.
◆ (Choses). Dur, rigoureux; empreint d'austérité. La vie austère d'un ascète.➙ Ascétique. Morale, règle, discipline austère. L'austère sentier de la vertu.
➙ Rude. Une vertu austère.— (Sans contenu relig.). Manières, sentiments austères. ➙ 1. Grave, rigide, sévère. Abord, mine austère. Affecter un air austère.
◆ (En parlant d'une chose concrète). Qui est empreint d'austérité. La cellule austère d'un trappiste.— Le style austère des bâtiments cisterciens.
2   Par ext. (sans contenu moral). Triste et froid; sans ornement. ➙ Sévère.
Cette robe est un peu austère. Un monument austère. ➙ 1. Froid, 1. nu.

Littré, qui n’en rate jamais une, même rétrospectivement, ajoute à l’article austère: sévère moralement; un homme, une vie austère. Tandis que l’austérité prend cet atour-ci, sous sa plume: Manière de vivre rigoureuse à soi-même; mortification. La rigueur même au coeur de soi.


En économie
Aucun de ces dictionnaires ne prend la peine d’une incursion dans le domaine économique où le mot, teinté par l’étymologie, prend encore un autre sens. C’est pourtant celui-là qui pollue par sa présence nos imaginaires contemporains et diminue fortement notre puissance à vivre.

Il faudra le Trésor de la langue française, accessible en ligne, pour cela:


AUSTÉRITÉ, subst. fém.
A.  Vx. Qualité d'une substance qui est astringente, âpre au goût. Rem. Attesté ds BESCH. 1845, Lar. 19e, Nouv. Lar. ill.,QUILLET 1965.
B.  Au fig., cour.
1. [À propos d'une pers., d'une collectivité] Sévérité, rigueur dans les mœurs, les actes : [Avec une nuance péj.] Manière d'être, peu affable,
excessivement réservée : Spécialement
a) ÉCON. POL. Politique visant à restreindre la consommation par divers moyens, comme la restriction du crédit, l'aggravation fiscale, etc. :
b) RELIG., empl. surtout au plur. Mortification du corps et de l'esprit, qu'une personne s'impose pour faire pénitence, et/ou pour l'amour de Dieu :
2. [À propos d'un inanimé]
a) [Abstr.] Rigueur, contrainte. L'austérité des mœurs:
b) [Concr.] Sévérité, dépouillement, froideur :
c) Spéc., B.-A., LITT., MUS. Simplicité, gravité :
PRONONC. :[ ] ou [o-]. Cf. austère.
ÉTYMOL. ET HIST.  1.XIIIe s. « caractère de ce qui est sévère, dur » (Apocalypse,Ars., 5214, fo 30 ro ds GDF. Compl.: Austerité de peneaunce); 1671 spéc. relig. « mortifications » (MAUCROIX, Homelies ds RICH. 1680 : Renoncer aux austeritez); 2.[1606 « âpreté (?) » (NICOT : Austérité ou aspreté), attest. isolée]; 1845 au propre « âpreté, aigreur » (BESCH. : L'austérité de ce fruit, de ce vin. Ce mot est fort peu usité en ce sens); cf. Trév.1771 : [...] on ne dit point l'austérité d'un fruit, quoiqu'on dise un fruit austère.
Empr. au lat. austeritas au sens 1 (SÉNÈQUE, Dial.,3, 20, 2 ds TLL s.v.,1557, 26) au sens 2 (PLINE, 14, 24, ibid.,1556, 81).


Dans la sphère économique, l’austérité définie comme « politique visant à restreindre la consommation », s’accompagne de politiques antisociales, dressées contre les gens, contre les citoyens lambda, en ce compris les petits indépendants et les PMI/PME. Elle se traduit bien par la métaphore du serrage de ceinture. « Ils » voudraient de plus en plus nous faire rendre gorge.
Moralement et philosophiquement, elle n’a rien à voir avec cette moindre perfection imposée au plus grand nombre par un très petit nombre (voir l’essai intitulé: Ceci n’est décidément pas une crise comme les autres).


L’austérité morale tient plus de la rigueur, de l’honnêteté vis-à-vis d’autrui et de soi-même. La cohérence vitale, qui en est la matrice fondamentale, est porteuse de liberté. Elle dégage de contingences factices qui ont trop déteint sur l’homme, par contamination commerciale emmenée par des techniques sophistiquées de marketing. Mais tout le monde n'est pas des pigeons...


Que nous en dit la philosophie?
C’est sous l’article « Argent » de son Dictionnaire philosophique qu’A. Comte-Sponville (A. CS) nous parle de pièces de monnaie, puis de l’argent comme « richesse fiduciaire, qui ne vaut que par la confiance qu’on lui accorde et le pouvoir qu’on lui prête. Confiance parfois légitime, toujours exorbitante. » Marx, évoqué, signale que l’argent « qui possède la qualité de pouvoir tout acheter et de s’approprier tous les objets, est par conséquent l’objet dont la possession est la plus éminente de toutes. L’universalité de sa qualité est la toute-puissance de son être; il est considéré comme l’être tout-puissant. » A. CS constate après lui que le moyen de produire de l’argent avec de l’argent est devenu une fin; la ressource, un piège.
J. M. Keynes distingue l’argent comme objet de possession de l’argent comme moyen de se procurer les plaisirs et les réalités de la vie et lui reconnaît, à l’argent, une essence morbide, « plutôt répugnant[e], ajoute-t-il, l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales.»
A. CS commente, pertinent comme à son habitude: « La cupidité est peut-être moins une maladie qu’une passion, d’ailleurs fort ancienne (voyez le mythe de Midas); et ses contraires (le désintéressement, la libéralité) [sont] moins des remèdes que des vertus, qu’on aurait tort d’attendre de la médecine. »
Nous voici suffisamment équipés terminologiquement.


Le chemin de l’abondance
L’abondance n’est pas une faiblesse ni un piège. Elle est le chemin.

L'abondance est le chemin.
Il passe par l'austérité
avant l'ampleur de l'envol.

Une très grande lucidité sur un chemin, pour l’instant austère pour beaucoup d’entre nous, nous fait peut-être considérer l’abondance comme une urgence. Elle met cependant du temps à se construire. Est-on austère en dressant ce constat ? Non, n'est-ce pas: juste réaliste.


Les priorités d’une vie se réorientent plusieurs fois en cours de chemin. La première, humaine, naturelle, cherche la protection d’un toit; cela nous permet de développer notre ampleur à l’abri des éléments. Le vivant non végétal a cela en commun.
Le flux dans lequel le monde bancaire et financier nous place accentue les frustrations. Après les avoir identifiées, laisser un peu de temps au temps, en années probablement, leur permettra de s’évanouir. Avoir appris à se poser aide.
Nous sommes toutes et tous habités de certitudes qui se réalisent ou non. Les contingences de la vie nous le feront savoir. En attendant de frayer sur le chemin de l’abondance, il s’agirait de lâcher prise, d’être vigilant et d’éliminer une à une nos peurs, notamment celle de manquer et cette autre nimbée de la certitude de ne jamais y arriver, qui pourrait déboucher sur un désespoir qui ne se peut point. Il est un obstacle sur le chemin de l'abondance.


Pompe à phynances
Il nous faut admettre qu’il peut être utile à sa vie de procéder de façon austère en matière financière, dans la gestion de son ménage, afin d’amorcer un jour la Pompe à phynance, chère aux pataphysiciens ! Cette vigilance exigeante est la probable voie royale vers l’abondance recherchée. Chacun définira l’abondance dans les termes qui lui conviennent. Pour beaucoup, elle restera sonnante et trébuchante ! Pour d’autres, elle prendra des atours énergétiques. L’important, c’est le flux.
La spirale de prêts à la consommation est, elle, très mortifère et en a mis plus d’un sur la paille, parce que le désir d’immédiats, jouissances fort éphémères, l’emporte sur la raison au long cours.


Inverser le flux
Il s’agit dès lors d’avoir le désir d’inverser le flux en faisant marcher son ménage droit, sans plus le saborder au premier désir qui passe !
Une fois le flux inversé, cela met hélas un temps long qui en épuise beaucoup, quand la pompe fonctionne à notre avantage, s’entame alors le cercle vertueux de l’affluence raisonnable, qui fait de nous des personnes libres et plus autonomes par rapport à l’argent, parce qu’il n’est plus une urgence.
En route vers ce chemin d’abondance, qui se balise de nombreuses étapes, il s’agit à terme de ne plus dépenser l’argent sans l’avoir forcément entièrement gagné. Il s’agit de faire le tri sur les priorités: le prêt hypothécaire, un must pour tous, un leasing pour la voiture, le cas de beaucoup, mais les prêts onéreux à la consommation pour combler des frustrations du désir, nous rendent bien trop esclaves de la société de consommation.
Il s’agit d’établir pour soi des règles saines pour conduire sa vie en vue d’accéder au bien véritable. Cela présupposede connaître nos passions pour être en mesure de les maitriser.
Il s’agit de développer de meilleures capacités d’analyse pour parvenir à cette béatitude spinoziste, que l’on aura soin de détacher du désir.
En augmentant l’effort explicite et conscient pour exister mieux, nous augmentons notre puissance d’agir à terme.


Exégètes contemporains du spinozisme
Le vocabulaire utilisé dans cet essai doit beaucoup à la lecture d'un ouvrage de R. Misrahi intitulé 100 mots sur l’éthique de Spinoza. Benedictus de Spinoza (1632-1676) retient depuis longtemps mon attention. Spinoza dans le texte appelle les traducteurs. Spinoza écrivait en latin: au 17e, une belle manière de se méfier des censeurs, lui qui scellait son courrier d’un Salute, qui veut dire « Méfie-toi » !) et les intermédiaires, les facilitateurs d'accès.
Quelques exégètes
Après A. CS, G. Rensi, M. Conche, C. Rosset aussi, voici que s’immisce un autre philosophe qui en décortique les saveurs d’une plume maitresse d’elle-même: Robert Misrahi. C’est le ouaibe qui l’a mis sur ma route. Puis un rayonnage de librairie liégeoise pleine de trésors, qui livre de cet auteur 100 mots sur l’éthique de Spinoza (2005) (ils ne sont que 82… mais c’est le titre d’une collection éditoriale). Une pédagogie majeure, sans jargon, nous fait pénétrer au cœur de l’ouvrage majeur de B. Spinoza: L’éthique. Comme le dit la quatrième de couverture des 100 mots: « Ce livre permet de déambuler librement dans l’œuvre du philosophe, même si Robert Misrahi nous suggère un chemin balisé, par un un système de renvois à la fin de chaque [article consacré à un terme]. » Grâce à ces renvois, un réseau notionnel implicite se construit sous nos yeux. Je vais m’attacher à rendre ce réseau explicite pour les trois affects primitifs que sont le désir, la joie et la tristesse.
Traducteurs
Les traducteurs sont nombreux: C. Appuhn (1906 & 1934), plus récemment B. Pautrat (1988-1990, source wwikipedia et R. Misrahi (à partir de 1993, mais déjà pour la correspondance dans le volume de La Pléiade en 1954 !). R. Misrahi a entrepris de traduire Spinoza dans un français clarifié à la lumière de nombreux développements sur la traduction de termes latins. Il nous en explique ses choix dans plusieurs conférences tenues en 2005. Elle sont disponibles sur la toile. Sa traduction est argumentée car, prof de philo, il est connu comme spécialiste de Spinoza. Les notes et commentaires figurant dans sa traduction disponible au Livre de Poche sont d'une haute érudition, rendue accessible par la grâce de ce pédagogue ouvert aux autres; il n'y a qu'à voir comment il se met à la place de son auditoire en enfilant nos yeux de néophyte dans l'univers spinoziste.
Quand un latiniste averti se double d'un philosophe érudit, cela se traduit par une approche renouvelée des textes majeurs de la philosophie européenne. À y réfléchir quelque minutes, il est en effet essentiel d'être un spécialiste (de Spinoza dans ce cas-ci) avant de choisir de se lancer dans une traduction actualisée de son oeuvre. C'est bien connu dans les milieux de la traduction: tout ouvrage se retraduit en fonction de l'époque. Essayez de lire Montaigne dans le texte qu'il a écrit pour voir... C'est illisible ou peu s'en faut.


Robert Misrahi (RM)
Par sa prose limpide, RM nous confie au creux de l’oreille, sous formes de confidences éclairées, la philosophie mise en œuvre par BS. Il est un éclaireur. Il joue sur les deux tableaux puisqu'il traduit ce sur quoi il philosophe par ailleurs.
Il la remonte devant nos yeux, en insistant sur les lignes de force incontournables. Cette confiance de plume, il la confie à la page, pour affermir notre meilleure compréhension de BS, pour affirmer aussi notre capacité à comprendre. Un exégète très informé doublé d’un pédagogue hors pair. L’éthique spinoziste ne se laisse pas réduire à une éthique de la nécessité. L’amitié, la générosité, la solidarité en sont des dimensions constituantes; elles fondent un esprit libre.


Trois affects primitifs
L’absence d’abondance peut rendre triste. C’est pourquoi il paraît bon de se pencher sur les trois affects primitifs du spinozisme afin d'en bien discerner les différents feux: le désir, la joie et la tristesse. Ces deux dernières sont des modifications de l’effort existentiel. Quand la tristesse augmente, l’intensité de l’effort existentiel diminue. Elle est un acte, pas une passivité, un abattement, une inertie. L’acte de tristesse modifie l’effort existentiel, ce qui signifie que la puissance d’agir en l’homme est réduite ou réprimée.
La tristesse est un acte de passage à une perfection moindre. Cet acte, la tristesse, compare une intensité passée à celle actuelle qui est moindre.
La tristesse est aussi une diminution de puissance, enfin une idée fausse ou une interprétation imaginaire de la situation. La tristesse est donc une illusion.
La bonne nouvelle, c’est qu’un travail consistant à se libérer de la tristesse est toujours possible. L’esprit humain peut toujours :
-  reconnaître et critiquer ses affects;
-  former des idées vraies;
-  susciter un autre acte qui sera affirmation de soi, et non pas négation illusoire de soi-même.


 Il n'est de meilleur logiciel de cartographie mentale que la main finalement !

Cette carte mentale représente les mots-clés dont RM fait suivre la liste à la fin des trois articles consacrés au désir, à la joie et à la tristesse.
Tous trois partagent affect passion et liberté à l'intérieur de l'ensemble bordé de rouge fluo. La joie et le désir sont liés tandis que l'effort lie le désir et la tristesse. Chacun a en propre deux mots.
L'ensemble se compose de quatorze mots, ce qui représente 17% du total de l'ouvrage qui en comporte 82. Une fois la carte établie (ce matin du 27 05 16), il me « reste » à approfondir les liens conceptuels au moyen des pages que l'auteur consacre à chacun de ces 14 mots. Cela va prendre un peu de temps... avant de s'employer à répondre en conclusion à la question contenue dans le titre.

 

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