Abeille, Jacques (2006), Belle en la demeure, Mercure galant, 183 p.

Jacques Abeille ordonnance ce récit charmant avec tout l’art du déploiement qu’il a su mettre à l’œuvre dans le cycle des contrées, au service d’une sensualité littéraire de grande qualité.

Il porte l’érotisme à ce niveau de qualité qui le distinguera d’autres érotistes par une distinction et une mise en situation dignes des fantasmes les plus aboutis.

Le narrateur distant, mais omniscient des sentiments, de toutes les sensations de cette Belle en sa demeure, la jamais nommée, la « petite bonne ». L'innommé sied bien à l’universel plaisir que Jacques Abeille déroule sous nos yeux, mi-plaisir de la chair chaleureuse, mi-jouissances poético-syntaxiques.

La langue de ce jeune septuagénaire (achevé en 2003, publié en 2006) a encore affiné son trait. L’ample période de l’auteur, désormais maîtrisée, est mise au service d’évocations réussies de la fébrilité d’un corps libre en cette énorme demeure assoupie par un mal qui la ronge.

La plume avantageuse de cet écrivain d’exception rend aux caresses des amants une densité qui donne corps à ses rêves de femme et dissout les cauchemars du maître.

La qualité de ce roman jadis publié au Mercure galant - il semble épuisé en 2024 - tient à la place laissée à l’expression des sentiments de la belle. Nulle mécanique sexuelle à l’œuvre. Une suite d’émois dont l’épaisseur va croissant, au fil de la complicité qui se construit entre le maître et sa bonne. Ce cliché désuet se dissout d’ailleurs en fin de roman.

Elle tient aussi à la langue de Jacques Abeille: nulle part une vulgarité qui parsème tant de faux libertinages modernes. Il articule les plaisirs dans une langue qui rend hommage à la syntaxe autant qu’aux vocabulaires suspendus aux lèvres des amants, sous la plume d’un auteur omniscient qui se fait l’écho réussi du point de vue féminin. L’environnement fleure bon son XVIIIe et sert d’écrin à des épanchements de plus en plus amoureux.

Une autre intrigue, toute en maléfices ancestraux, vient enrichir la première de sa touche de lumière fantastique, pour le plus grand bénéfice de l’intrigue qui ne souffrira ainsi de nul creux aux deux-tiers, comme c’est trop souvent le cas dans un roman. La sensualité fait reculer puis disparaître le malin.

Deux exemples de l’allure que cela a (pour vous convaincre d’en commander la totalité de l'oeuvre de cet auteur aux deux noms à votre libraire…):

« Le subtil échange entre la moiteur de sa peau et l’haleine du monde se manifeste dans les régions nouvellement dénudées avec une insistance si douce qu’elle se sent répondre par l’offrande d’une humidité moins superficielle que celle de la sueur. … d’une main preste et tremblante elle déboutonne sa blouse entre la taille et le milieu des cuisses; juste quatre boutons, en sorte que la fente ainsi ménagée laisse pénétrer et prendre contact avec une alacrité plus aiguë. (29)»

Il s’agit longtemps pour l’auteur en effet de décrire les frissons solitaires d’une nouvelle engagée dans une domesticité par ailleurs fort inquiétante.

« Débarrassé de son peignoir, il lui caresse les fesses de son boute-joie et laisse le gland gonflé dodeliner de-ci de-là, glisser dans la longue entaille qui sépare ses fesses (119) »

Nul vocabulaire putassier qui révèle la pauvreté lexicale et imaginative de tant d’auteurs du domaine.

Voilà un roman dont l'empressement est tout entier mis au service de la meilleure jouissance, également littéraire..., de ses lecteurs/lectrices !

Un compte-rendu de lectrice enthousiaste se lit ici.

 

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