Françoise Lalande consacre son dernier roman en date (2015) à Germain Nouveau. La démarche est originale: sur base de la vie du poète, elle tisse autour de son village natal, Pourrières, une continuité autour d'un ami, instituteur retraité, et de deux Parisiens. Puis « l'homme qui reste » nous raconte ses échanges avec « l'homme qui part », une fois revenu...
Je lis l'ouvrage pour l'instant (20 12 15). Je vous reviens... Lien vers son éditrice.

Les chapitres sont courts, enlevés, pétillants.


Les chefs d'oeuvre de l'érotisme ont choisi un poème qu'elle dit s'intituler Arracher le voile inutile, alors qu'il s'intitulerait en fait L'agonisant. La liberté un peu désinvolte est faite pour s'en servir, n'est-ce pas MM les anthologistes ? Ce n'est pas la première fois que vous êtes pris en flagrant délit d'accommodement avec le réel...

L’Agonisant Germain NOUVEAU Recueil : "Valentines"  (source)


Ce doit être bon de mourir,
D’expirer, oui, de rendre l’âme,
De voir enfin les cieux s’ouvrir ;
Oui, bon de rejeter sa flamme
Hors d’un corps las qui va pourrir ;
Oui, ce doit être bon, Madame,
Ce doit être bon de mourir !

Bon, comme de faire l’amour,
L’amour avec vous, ma Mignonne,
Oui, la nuit, au lever du jour,
Avec ton âme qui rayonne,
Ton corps royal comme une cour ;
Ce doit être bon, ma Mignonne,
Oui, comme de faire l’amour ;

Bon, comme alors que bat mon cœur,
Pareil au tambour qui défile,
Un tambour qui revient vainqueur,
D’arracher le voile inutile
Que retenait ton doigt moqueur,
De t’emporter comme une ville
Sous le feu roulant de mon cœur;
De faire s’étendre ton corps,
Dont le soupirail s’entrebâille.
Dans de délicieux efforts,
Ainsi qu’une rose défaille
Et va se fondre en parfums forts,
Et doux, comme un beau feu de paille ;

De faire s’étendre ton corps ;
De faire ton âme jouir,
Ton âme aussi belle à connaître,
Que tout ton corps à découvrir ;
De regarder par la fenêtre
De tes yeux ton amour fleurir,
Fleurir dans le fond de ton être

De faire ton âme jouir ;
D’être à deux une seule fleur,
Fleur hermaphrodite, homme et femme,
De sentir le pistil en pleur,
Sous l’étamine toute en flamme,

Oui d’être à deux comme une fleur,
Une grande fleur qui se pâme,
Qui se pâme dans la chaleur.
Oui, bon, comme de voir tes yeux
Humides des pleurs de l’ivresse,
Quand le double jeu sérieux
Des langues que la bouche presse,
Fait se révulser jusqu’aux cieux,
Dans l’appétit de la caresse,
Les deux prunelles de tes yeux ;

De jouir des mots que ta voix
Me lance, comme des flammèches,
Qui, me brûlant comme tes doigts,
M’entrent au cœur comme des flèches,
Tandis que tu mêles ta voix
Dans mon oreille que tu lèches,
À ton souffle chaud que je bois ;

Comme de mordre tes cheveux,
Ta toison brune qui ruisselle,
Où s’étalent tes flancs nerveux,
Et d’empoigner les poils de celle
La plus secrète que je veux,
Avec les poils de ton aisselle,
Mordiller comme tes cheveux ;

D’étreindre délicatement
Tes flancs nus comme pour des luttes,
D’entendre ton gémissement
Rieur comme ce chant des flûtes,
Auquel un léger grincement
Des dents se mêle par minutes,
D’étreindre délicatement,

De presser ta croupe en fureur
Sous le désir qui la cravache
Comme une jument d’empereur,
Tes seins où ma tête se cache
Dans la délicieuse horreur
Des cris que je… que je t’arrache
Du fond de ta gorge en fureur ;

Ce doit être bon de mourir,
Puisque faire ce que l’on nomme
L’amour, impérieux plaisir
De la femme mêlée à l’homme,
C’est doux à l’instant de jouir,
C’est bon, dis-tu, c’est bon… oui… comme,
Comme si l’on allait mourir ?

La notice en fin du volume de l'anthologie Planète souligne qu'il « fut un des compagnons de Verlaine et Rimbaud qu'il accompagna à Londres en 1873 et 1875. »... Professeur de dessin dans les années 1880, une crise de mysticisme cinq ans plus tard « l'amène à rompre toute attache. Et durant les trente dernières années de sa vie, il mena une existence de vagabond et de mendiant, entrecoupée de pèlerinages à pied en Belgique, en Espagne et en Italie. Étrange destin, curieux personnage et l'oeuvre ne l'est pas moins. Déconcertante, volontiers baroque, lardée d'humour noir et de pirouettes, ce qui explique pourquoi le poète est parmi les grands méconnus où il occupe depuis plus de soixante-dix ans, une place enviable de poète maudit. »

Les ingrédients sont réunis pour tomber dans l'oeil sauvage...


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