En 1980-1981, Jacques Sternberg publie aux Éditions maritimes, un     « Ports en eaux-fortes, les ports du monde vus par les graveurs au 19è siècle ». Cette commande vraisemblable rejoint une des grandes passions de sa vie : la mer. 
Un classement côtier pour la France, Atlantique de Dunkerque à Bordeaux, puis la Méditerranée. L’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique et finalement « Sur les Îles, de l’lIrlande à Terre-Neuve».
Quatre sources iconographiques ont été utilisées : le Musée de la Marine, et trois périodiques : l’Illustration, le Monde llustré, le Tour du Monde. Du rêve à l’état pur.

Une introduction extrêmement sternbergienne. Jugez-en plutôt les extraits concernant l’image
« des magazines comme  Le Tour De Monde,  Le Magasin Pittoresque, Le Monde Illustré,  L’illustration vont émouvoir leurs lecteurs en donnant une place de choix, non plus tellement au texte, mais à l’illustration. Innovation de choc dont nous ne pouvons plus mesurer la portée, nourris à l’entonnoir comme nous le sommes d’images télé et ciné, des photos couleur arrachées aux quatre coins du monde. » Du gavage d'abord. Et puis les drogues dures juste après : Nous vivons dans un monde « camé d’images » sans avoir « l’impact, la force vraiment culturelle que ces modestes parutions des années 1860 qui ne connaissaient que le noir, gris et blanc, le burin des graveurs. »  Et dire que c'est encore pire en 2011...
Jacques Sternberg n’aime pas trop les « clichés photos » qui font perdre aux dessinateurs   « l’essentiel de leur inspiration et de leur créativité » dès 1885.  Il restreindra dès lors sa sélection d’eaux-fortes à deux décennies : 1860 et  1870. Na ! Pour le plus grand plaisir des yeux !

Le second empire en prend aussi pour son grade. « Heureusement pour nous, ces artistes professionnels [que sont les graveurs sur bois] ne faisaient jamais partie du voyage – aventure colonialiste, conquête maritime ou autre, et c’est pourquoi ils ont pu mettre tant de poésie, de lyrisme, d’insolite et d’irréalité dans leurs compositions. »
LeTour Du Monde est dénoncé comme « assez putride, comme tout ce qui touche la presse du second empire. Rarement … , en plein cœur d’un régime haïssable, on aura vu une entreprise aussi louche que ce  Tour Du Monde donner d’aussi beaux fruits graphiques… Ce singulier mariage du racisme colonisateur, de l’impérialisme et du génie artistique n’est pas l’aspect le moins singulier de ce Tour du Monde où nous avons puisé une grande partie des gravures de ce recueil. Les autres sources ne sont pas plus limpides, ni moins discutables Le Monde Illustré [et] L’illustration n’avaient pas assez de mots pour honorer les militaires, les évêques et les policiers, pour glorifier les guerres coloniales… »
« Quant au  Magasin Pittoresque, même s’il était moins nocif, il était simplement conservateur, naïvement didactique, moralisateur et pour tout dire assez simplet. » Et, estocade finale, « Inutile d’ajouter que dans cette pépinière où proliférèrent tant de graveurs de génie, on ne trouve pas le moindre écrivain de talent. » Quand on est sûr du sien...

Et la préface se conclut par « Villers-Sur-Mer, 2h du matin ». Aussi très sternbergien… Son port de cabotage à l'époque, son refuge, et juste l’heure, pas de date. L’impression de l’ouvrage est terminée le 3 novembre 1981.

Finalement étonnante, la liberté de ton de cette préface pour un sujet si peu polémique. Elle situe à la fois l’époque, les circonstances éditoriales et surtout l'iconoclastie de Jacques Sternberg. Amusant d'ailleurs qu'en préservant des eaux-fortes, il se fasse briseur d'images photographiques et destructeur d'idées communément reçues.

 

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