Chaque vers vous étripe.

Chaque ligne vous empare
pour ne plus vous lâcher.
L'air vous manque
tant les mots simples
disent tout de l'horreur
qu'inspire un drone
à un gamin de huit ans.

Loin de l'aube encore
qu'ensemencera
un ciel couleur de pierre,
le corps liseur frémit de l'effroi
qui s'échine à le rappeler,
à nous rappeler à l'ordre humble
du rythme pulmonaire
de votre respiration régulière qui,
soudain, s'accélère. En émoi.

Tant de mondes inaccessibles
qu'aucune image ne peut rendre,
ce texte atteint au tragique
du quotidien du peuple palestien,
Mosabl Abu Toha est né à Gaza,
sur un rythme de haine rance
qui remonte sans répit
de cette terre corrodée
par les bombes, les drones, les pierres.

La traductrice de l'anglais m'enjoint presque de lire l'original, le poète est prof d'anglais, tant son explication rend compte de difficultés rencontrées dans son travail, si fluide pourtant.
Je n'ai pas attendu la très belle recension que fait Camille Cloarec de ce recueil poétique dans Le Matricule des Anges 259 (janvier 2025) car je dois à une librairie d'avoir attablé ce livre dont la quatrième de couverture a suffi à confirmer le "geste d'appropriation".
La maison de la poésie (France) nous offre sur Youtube une lecture très sensible d'extraits qui a été captée pendant une demi-heure; une conversation avec le poète suit.

Chaque poème a reçu un titre: Extraits

Grand-Père et le pays
... III Je vais au cimetière tous les jours
Je cherche ta tombe en vain
est-ce qu'ils sont sûrs de t'avoir enterré
ou t'es-tu transformé en arbre
ou tu t'es peut-être envolé vers nulle part
sur les ailes d'un oiseau.

« Je cherche: nulle sortie
...
Je ne trouve les mots nulle part
ni dans mon dictionnaire gazaoui
ni dans mon dictionnaire américain

Ma ville après ce qui est arrivé
...
La ville n'existe plus que dans les cratères
Je n'ai nulle part où aller
si ce n'est par une route inconnue.

108 Les blessures [C'est à mon avis le pivot du recueil; son père élève des pigeons sur le toit de la maison - un colèbeu, comme chez nous]

Des oiseaux venus de nulle part se sont mis à voler sans but dans le ciel ouvert.
Certains se sont cachés dans les arbres.
Les pigeons tremblaient dans leurs grandes cages.

112 Nous n'avions plus nulle part où nous cacher. »

Je lis ce livre. Le vécu qui s'y déploie me procure une intensité inconnue penchée sur les abysses. Lire ce livre flue avec mon effroi des armes, l'objection de conscience, le pacifisme, la non-violence qui sont mes ancrages profonds. Ce livre recueille l'humanité bafouée jusque dans ses derniers retranchements.

L'entretien qui clôt l'ouvrage, en plus d'être une très bonne idée, contextualise l'horreur récurrente qui hante ces terres maudites, sa terre maudite, par la faute des colonisateurs occidentaux en la personnalisant.

 

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