C’était une nuit de pleine lune et je ne pouvais dormir. Mille et une tourments assiégeaient mon coeur. Mes pas me conduisirent près d’une masure abandonnée. Leurs habitants s’étaient fanés doucement et s’en étaient retournés à la terre.

Tout au fond du jardin, j’entrevois une barrière. Vermoulue, elle est toute de guingois. Les ronces ont envahi son espace, l’étranglant de leur exubérance. Au-delà, commence un étrange domaine. Sous la main du vent, les troncs ploient en grinçant. Les cimes dodelinent, répandant une plainte amère.

La lune s’approche prudemment au-dessus de la scène. Elle jette une flaque de lumière comme pour démasquer on ne sait quel forfait. Les sapins se tiennent par les branches et s’agitent frénétiquement. Certains marchent en répandant des supplications.
Progressivement leurs épines tombent, leurs branches se muent en os.

Des squelettes surgissent, pas ceux des planches d’anatomie, des ossatures expressives. La mort les a saisis dans une posture qui condense leur existence. Le gai rit au vent et le peureux claque des dents. Le fat se gonfle d’importance, le distrait a égaré ses côtes. L’amoureux ouvre son coeur et le tyran marche au pas de l’oie. J’assiste médusé à un sabbat de trépassés.

Un bruissement monte dans la nuit. Un tourbillon d’étourneaux déroule ses volutes. C’est le signal d’une grande effervescence. Un véritable marché s’organise, chacun échangeant son âme avec un autre, pour autant que celui-ci le veuille bien.

Il fallait voir avec quelle âpreté certains se jetaient sur autrui dans l’espoir de troquer une autre identité. Les plus acharnés étaient les tyrans. Leur toute-puissance n’était qu’un enfer dont ils voulaient s’évader. Mais personne ne voulait de l’âme d’un tyran. Et ainsi, justice était rendue.

A l’écart, se tenaient les deux habitants de la maison, assis au pied d’un arbre. Un léger sourire flottait sur leurs lèvres. La mort les avait figés dans une sculpture fort simple. Ils écossaient des petits pois. Et les vertes perles égrenées racontaient leur vie au goutte à goutte. Le lundi, la lessive. Le mardi, le potager. Le mercredi, les petits-enfants. Le jeudi, le marché. Le vendredi, le nettoyage. Le samedi, les cartes. Le dimanche, la tarte avec les enfants. Et tous les jours, les poules.

Nul ne les courtisait, nul ne les approchait. On respectait leur force et leur paix.

Je m’en retournai chez moi, la nuit glissait sur ma peau soyeuse. Je retrouvais ma couche fraiche quand les étourneaux frôlèrent ma fenêtre. Mon âme était étale. Retentissaient en moi les petits pois tombant dans la passoire du bonheur.


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