Je vous écris de Mésopoésie, d’un chantier dont on  ne revient pas. Une tour de Babel pas belle pousse sous l’eau, l’envahisseur parle la langue du bois, celle dont chacun se chauffe.

L’architecte dit que c’est baroque, que c’est bancal, caduc, cucul, rococo, riquiqui, cocorico.

Le maçon dit qu’il n’a qu’à, qu’elle n’a qu’à, qu’elle n’a pas qu’à, qu’elle qu’à pas, qu’elle est un cas.

La maîtresse des lieux dit que si elle avait su, que si elle avait vu, qu’elle n’aurait jamais dû, qu’elle ne savait pas ça, qu’elle n’a pas de papa.

Le promeneur de chien dit qu’il pleut dans sa maison, dans ses saisons, dans ses salaisons, dans sa raison !

Les voisins disent qu’elle arnaque, qu'elle divouaque, qu’elle écoute du Bach, recroquevillée dans un hamac.

Ils disent qu’il y a péril en la demeure, que c’est l’heure de la mérule, que la mérule meure !

Tout le monde dit qu’elle a vu trop grand, que c’est trop petit, qu’il n’y a pas de place pour les deux lévriers, les trois éperviers, tous les espaliers, le double évier, même pas pour un escalier !

Il arrive qu’un ange passe, qui ne dit rien.


C’est alors que toutes poutres-ailes levées, la Folle du logis dit (d’une voix de toute petite fille) qu’il n’y a pas de soucis, qu’elle n’a pas besoin d’un escalier, qu’elle a de tout petits pieds, qu’elle s’envoie bien en l’air toute seule, qu’elle est même devenue vierge et qu’un bon ascenseur le jour de l’ascension suffirait !

C’est alors aussi, qu’aux quatre coins de la Tour, sous le Ciel magnanime, se dressent hiératiquement les quatre  Fleurs de l’Apocalypse : la Violette calamitaire, la Datura des villes, le Jasmin de fer et la petite Renoncule devant Rien.

Car ici, on ne travaille pas la semaine, et le samedi non plus. Sous l’eau tarie, mille et une odeurs de stagnation, mille et une sources d’inspiration, d’expiration, de détestation et de désespérance.

Sans rime ni maison, la maîtresse des lieux pleure son petit univers confisqué, toutes ses Saintes en papier déchiré séquestrées dans des boîtes à bananes entassées dans le Passé d’un grenier décomposé.

Mais quand vient le Jour du Seigneur, les clous sont enfoncés, toute la rue tremble sous l’eau, les murs de chaux vive se mettent à saigner. Ça suinte sur le sol des lamentations toute la Sainte journée, toute la soirée, et un bout de la nuit encore…

On entre en chantier comme on entre dans le désordre, on ne sait par quelle disgrâce, SEUL, les bas de laine troués, les mains jointes sur la bourse, les pieds nickelés, le cœur amidonné, le sourire forcé et le ventre en béton armé.

Michèle Divoy Je vous écris d’un pays… (prose poétique)


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