J’écris, de temps à autre, des poèmes de grand magasin. Ce poème en est un.
Un poème de grand magasin est composé dans une grande surface, de préférence à l’heure de pointe.
C’est un poème musical. Le roulis des roues du chariot déambulateur qui grincent et se coincent apporte le rythme. La musique sirupeuse, si propice à la dépense, est aussi propre à inspirer la ligne mélodique du poème de grand magasin.
Il est composé au départ de la liste des courses. Prévoir des blancs dans la liste pour y insérer les vers soufflés par les légumes verts ou les fromages odorants.
À chaque rayon sa strophe.
À chaque produit son vers.
À chaque achat sa couleur, sa tonalité. Soyez créatifs et ne craignez pas l’adjectif. Faites chanter la morue et fleurir les courgettes.
Pour réussir le poème de grand magasin, ne pas se limiter à la seule énumération des produits de la liste. A chaque rayon, une sollicitation imprévue apportera du piment au poème : les articles en promotion trouveront tout naturellement place entre l’indispensable dentifrice, les préservatifs et les concombres. J’y ajoute volontiers une touche d’exotisme : pimento picante, chili con carne, waterzooi weight watchers…, le poème de grand magasin est invitation au voyage.
Pour rompre la monotonie du discours, rien de tel que les appels aux responsables de rayons. N’hésitez pas à en ponctuer votre poème. Mais ne vous laissez pas distraire par les enfants perdus ou les prétendus braquages : vous écrivez un poème, pas un roman à suspense.
Plus la foule est dense et plus lente sera votre progression dans les allées. Plus long sera votre poème. Tant mieux. Le poème de grand magasin est un poème épique. Méfiez-vous des supérettes. La médiocrité vous guette.
Vous pouvez transcrire les vers qui vous montent à la tête à chaque halte ; vous pouvez aussi, si votre mémoire est bonne, les enregistrer dans le disque dur (à ne pas confondre avec la dure-mère) de votre cerveau, pour le moment où, le chariot rempli d’alléchantes promesses de bonheur consommable, vous ferez la queue…
Profitez de cet interlude privilégié pour mettre la dernière main à votre poème et le peaufiner, avant de mettre la main au portefeuille.
Pour contribuer à leur culture et calmer l’impatience des chalands embarqués dans la même galère au point mort que vous – ils ne sont pas tous poètes – il n’est pas interdit de réciter le poème à haute et intelligible voix…
Vous mettrez le point final à votre œuvre en y épinglant la note et le sourire de la caissière.
Il existe une variante du poème de grand magasin pour poètes disposant de peu de temps : faire ses courses normalement ; transcrire soigneusement sur une feuille blanche le ticket de caisse. Tout y est.