Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls.
Des mots sans grammaire de soutien. Égarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt.
Marguerite Duras
Le dernier poète
Le poète naquit dans un monde sans mots
en l’an trois mille dix après le cataclysme.
Le monde dévasté n’avait plus de langage ;
des hommes égarés éructaient avec peine
de rauques borborygmes, des onomatopées.
Il connut le secret pour lui seul révélé
qu’en d’austères blockhaus, on avait conservé
de vastes collections de mots frappés d’oubli.
Le poète naquit dans un monde sans mots.
Il se mit à parler… Mais nul ne le comprit.
Il voulut délivrer le logos enfermé,
rendre à tous la parole et devenir prophète.
Mais il ne rencontra que de l’étonnement,
de l’animosité, de l’incompréhension.
Le monde était muet et sourd à ses discours.
Abasourdi, sans voix, le poète pleura
son savoir inutile et sa verve futile.
Sans interlocuteur, à quoi bon discourir ?
Solitaire mutant, il n’eut plus qu’à mourir…