Saint Hubert (celui qu’honorent une ville et sa grandiose basilique) n’était pas un enfant de chœur. Loin s’en faut. Hubert, duc d’Aquitaine (connu, dit la chronique, par "les folles joies de sa vie mondaine"), avait épousé la belle Floribanne, la fille du roi Dagobert (cette majesté mal culottée que sauva du ridicule le bon saint Éloi…) et négligeait sa jeune épouse, non pour courir la gueuse mais pour courir le cerf et la biche aux abois (Entendez-vous, dans la nuit brune, bramer la biche au clair de lune, qui pleure à se fondre les yeux ?*).
Grand chasseur devant l’Éternel (lequel Éternel tordait ses divines mains de désespoir et déplorait de voir ses créatures les plus innocentes massacrées, à tort et à travers), chasseur impénitent, il passait tout son temps, harnaché de pied en cap, botté, chapeauté, armé jusqu’aux dents et juché sur son fidèle destrier (l’histoire n’en a hélas pas retenu le nom), qu’il n’hésitait pas à cravacher sauvagement. De l’aube au crépuscule, et parfois au-delà, il parcourait la forêt en tous sens et traquait sans relâche le gibier terrifié, allant jusqu’à en oublier le boire et le manger.
Or donc il advint qu’un vendredi saint – ô sacrilège – Hubert, bravant tous les interdits, sauta du lit (on raconte qu’il dormait les bottes aux pieds) sans même un baiser pour la blonde et douce Floribanne : à la chasse, à l’assaut, taïaut, taïaut !
À propos, le mari de ma tante Germaine s’appelait aussi Hubert. Asthmatique et protestant, il avait vécu parmi les Congolais, et j’enviais le noir de jais de sa chevelure. Mais ceci est une autre histoire… Mon oncle Hubert ne chassait que les mouches.
Cette fois, c’en était trop. L’Éternel outragé résolut de châtier le chasseur. Il lui envoya des voix (la Jeanne s’y laisserait bien prendre quelques siècles plus tard ; pourquoi changer une recette éprouvée ?) et comme Hubert faisait la sourde oreille, il dressa devant lui un cerf nonpareil, d’un blanc d’hostie consacrée (c’est la pure vérité, je vous l’assure), nimbé de lumière et, comble de diablerie (pardon, de surnaturel), le cerf divin (car c’en était un) portait entre ses bois (une ramure gigantesque, dix cors, à tout le moins) une croix phosphorescente et clignotante comme une ampoule d’arbre de Noël, comme un feu d’ambulance, un phare, que sais-je ? Ebloui par cette apparition, Hubert mit pied à terre et le genou itou. Enfin, il entendait la voix du Seigneur et de la raison. Oui, il abandonnerait cette vaine passion et ferait allégeance à l’évêque Lambert (lui aussi futur saint du calendrier, comme le
savent tous les Liégeois) ; oui, il évangéliserait les populations incultes et mécréantes du nord (là, Dieu y allait un peu fort : sur nos terres humides, les églises poussaient comme champignons) ; oui, il ferait pénitence, abstinence et tutti quanti.
Sitôt cette conversion miraculeuse accomplie, Hubert transfiguré tourna bride, rentra ventre à terre, fit seller la haquenée et mit à cheval (en amazone, c’était une dame) Floribanne et Floribert (l’enfant d’une nuit d’ivresse), et vogue la galère, l’histoire se mit en route !
Son zèle fut récompensé : c’est lui qui remplaça l’infortuné Lambert (lâchement assassiné) à la tête de l’évêché de Maastricht.
Qui va à la chasse… ne perd pas toujours sa place…
*La biche
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
À ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Maurice Rollinat
(1846 - 1903)