Pierre Vialatte en Promeneur littéraire pour Le spectacle du monde, mensuel, anime sa première promenade du portrait très sensible de Pierre Mac Orlan (n°1, avril 1962).
Vialatte en Bouquins est l’occasion renouvelée de jouir de ses phrases épurées à l’os. Pures joies littéraires au cocon havré, souligné de neige persistée, en désépaississement cependant.
J’aime à froncer le jour avec de telles essences.
Et quand la phrase de Vialatte prend de l’ampleur, elle ne tire nulle gloire des effets dont elle parsème sa syntaxe réglée au cordeau.
Sourire offert à ce Londres ininventable. 852
« Voir venir les temps prédits par Mac Orlan où les ministres, dans les foires, mangeront une vache en sucre rose grandeur nature pour enthousiasmer l’électeur. » 853
S’y construit aussi en fin de première chronique le commentaire atterré de l’actualité algérienne la plus atroce.
Qu’il soit ainsi une chronique matinale jusqu’à ce que la fantaisie en décide autrement ! Tel un bréviaire, bien plus jouissif…
A. Vialatte, deuxième chronique, mai 1962: « Un maitre se reconnaît à ce qu’il apporte aux hommes une nouvelle façon de regarder. » F. Kafka cité p.856
« Le maitre est un homme qui donne aux autres hommes un monde nouveau & leur invente une nouvelle jouissance. »
« Le chef d’oeuvre est, disait Gide, la chose devant laquelle on n’a pas envie de comparer. » « Entre les doigts de Kafka, tout devient parabole. C’est le génie juif. »
« Toute son œuvre est le long débat d’un homme handicapé par une fatalité. »
Dans Le Procès, M. K n’est-il pas l’homme tout court, condamné à mort de naissance, & qui s’agite vainement du néant à la tombe ?
[M. K] est aussi en Algérie à plus d’un million d’exemplaires. Il va avoir pour maitre le gang qui a égorgé sa femme & ses enfants. On lui a expliqué, pour le consoler, que le monde est aux fenêtres & n’entend pas ses cris. … Et c’est ainsi qu’Allah est grand. »
Seule occurrence dans ces promenades littéraires pour Le Spectacle du Monde, en fin de deuxième chronique.
Vialatte érige-t-il la non-violence qu’il avait peut-être vissée aux tripes en humour ? La naissance de cette chute de chronique, qui réapparaitra souvent dans les Chroniques pour La Montagne, semble trouver son origine dans une critique radicale des atrocités commises au nom de la barbarie des armes: FLN contre Massu & consorts, avec comme victimes propitiatoires les si mal nommés Pieds Noirs.
Je veux y lire sous la plume vialattienne un humanisme respectueux de l’intégrité des corps, même si je ne suis pas dupe, l’auteur était peut-être un tenant de l’Algérie française.
Est-ce y observer la genèse d’une formule ? Ce serait alors aussi y lire une indignation sans retour qu’il sublimera en une chute indépassable dans l’évocation de l’horreur. Une résistance à la banalisation du mal, en quelque sorte. Afin que nul ne l'oublie.
Chaque chronique de 1962 se clôt par une indignation algérienne qui honore son humanisme. De Gaulle en prend aussi pour son grade...
La troisième chronique dresse un portrait de l’Homme de Chaval, tout autant que du caricaturiste qu’il connait et fréquente.
Un beau dossier sur Chaval figure sur le site du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, dont il était originaire. |
Cette taquinerie illustrerait à merveille un aphorisme nullepartien...
Les chiens qui aboient à votre passage ont un maitre sans laisse.
Celui-ci est parfaitement tenu par Thomas taquin...
En 1960, Franz Hellens publiait à La Renaissance du livre une série d'essais écrits dans les années 1950 sous le titre: Des pas dans le jardin. En 1951, il consacrait à Alexandre Vialatte une chronique (133-137) à la sortie d'un roman, Les fruits du Congo pour revenir longuement sur le premier paru Battling le ténébreux, « un chef d'oeuvre, tout court. » Paru en 1928, « c'est un livre-type à classer dans la suite des chefs d'oeuvre de cinq ou six siècles de littérature française. » F. Hellens le met « au même rang que Le grand écart de Cocteau et le Barnabooth de Valéry Larbaud. »
« Une grand partie du roman est consacrée à la peinture de l'école où s'instruisent Battling & ses camarades; il y a là une série de portraits, de silhouettes, d'intérieurs, de menues scènes, dessinés & coloriés de main de maître. Le portrait de Rétine, par exemple, le professeur. Vialatte le situe "dans une classe où une République au profil grec regardait dans le vide avec ses yeux de plâtre, horizontalement, plus loin que nous. Rétine, ce chef taciturne et mou, cet être banal et puissant qui présidait à la fermentation de nos adolescences comme un épouvantail champêtre à la germination des blés." »
« Je veux encore citer cette petite perfection, cette réussite intelligence, avant d'en finir avec Battling » nous sussure encore F. Hellens: "La tempête passait par rafales, secouant la pluie dont elle gonflait les courbes par places comme un tablier de bergère un jour de vent."
Du roman suivant, Le fidèle berger, F. Hellens nous dit qu'il « tient les promesses des débuts; sur Les fruits du Congo, il note un « magnifique épanouissement des dons du conteur & du visionnaire. Trois livres seulement & déjà toute une oeuvre. »
Les trois derniers paragraphes de la chronique: