L'exemple philosophique du lustre neuf que procure la nouveauté (relative) qu'une traduction, Sur Nulle Part, est l'Éthique de Bento Spinoza grâce aux nombreuses traductions disponibles qui s'échelonnent sur presque deux siècles.

Un seul exemple avec la dernière proposition de l'ouvrage illustrera comment le sens prend un lustrage différent à mesure qu'il bénéficie de traductions neuves, modernisées, mises "au goût du jour" mais aussi, plus fondamentalement, instruites en suivant des règles précises que les traducteurs exposent avec plus ou moins de talent dans leur ouvrage.

Cela tient aussi en partie à la maitrise du latin (langue d'origine en parallèle avec la version en langue néerlandaise) de la part du traducteur mais aussi à l'époque qui voit la langue d'arrivée évoluer dans son usage propre.

Traducteur Libidines
coercere 
É. Saisset, 1842 mauvaises passions contenir
C. Appuhn, 1927 appétits sensuels  réduire
R. Misrahi, 1988 désirs sensuels réprimer
B. Pautrat, 1988
& 2010
appétits lubriques,
puis
désirs capricieux
 contrarier (1988),
puis
réprimer (2010)
A. Guérinot 1930 &
R. Caillois, 1954
penchants  réprimer
J. F. Billeter, 2017

champ sémantique:
besoin naturel, envie,
appétit; mais aussi
caprice, bon plaisir,
arbitraire; et de là:
débauche, dépravation,
passion violente.
« Il m'a semblé que
"passions" était le
meilleur équivalent
français, le + conforme
à la portée philosophique
de la proposition. »

champ sémantique:
forcer à l'obéissance,
châtier, réprimer,
= sens négatif;
mais aussi contenir,
dompter, domestiquer
= sens positif.

D'où le choix positif
de maitriser.

A. Suhamy, 2020 ? appétits sensuels réfréner
P.-F. Moreau, 2020 désirs contrarier
M. Rovere, 2021 désirs lubriques contrarier

-- Tableau 1 Libidines coercere --


Reprenons, pour le plaisir, et grâce à La Léonardienne (bibliothèque personnelle dont le nom rend hommage à ma mère qui en a instillé le goût & constitué le premier fonds) & au site tenu par J. Gautier.

propositio 42 
Beatitudo non est virtutis praemium,
sed ipsa virtus;
nec eadem gaudemus, quia libidines coercemus
sed contra, quia eadem gaudemus, ideo libidines coercere possumus.
B. Spinoza
source: J. Gautier;
ponctuation corrigée
d'après Moreau, 2020, p. 494
La béatitude n'est pas le prix de la vertu,
c'est la vertu elle-même,
et ce n'est point parce que nous contenons nos mauvaises passions que nous la possédons,
c'est parce que nous la possédons que nous sommes capable,
de contenir nos mauvaises passions.

É. Saisset, 1842

Source: www.spinozaetnous.org

La Béatitude n'est pas le prix de la vertu,
mais la vertu elle-même ;
et cet épanouissement n'est pas obtenu par la réduction de nos appétits sensuels,
mais c'est au contraire cet épanouissement qui rend possible la réduction de nos appétits sensuels.
C. Appuhn, 1927
Source: J. Gautier
La Béatitude n’est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu elle-même ;
et nous n’en jouissons pas parce que nous réprimons nos penchants,
mais c’est au contraire parce que nous en jouissons,
que nous pouvons réprimer nos penchants.
A. Guérinot, in Les classiques en
sciences sociales, UQAC ,1930
La béatitude n'est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu elle-même;
et nous n'en éprouvons pas de la joie (gaudeamus) parce que nous réprimons nos penchants;
au contraire, c'est parce que nous en éprouvons de la joie que nous pouvons réprimer nos penchants.
R. Caillois, in Spinoza,
Oeuvres complètes, Gallimard,
coll. La Pléiade, 1954, p. 595
La Béatitude n’est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu même ;
et nous n’éprouvons pas la joie parce que nous réprimons nos désirs sensuels,
c’est au contraire parce que nous en éprouvons la joie que nous pouvons réprimer ces désirs.
R. Misrahi, 1988
Source: site tenu par J. Gautier
La Béatitude n’est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu même ;
et ce n'est pas parce que réprimons les désirs capricieux que nous jouissons d'elle,
c'est au contraire parce que nous jouissons d'elle que nous pouvons réprimer les désirs capricieux.
B. Pautrat, Éthique, éd. du Seuil,
coll. Points Essais, n° 380,
2010
La Béatitude n'est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu elle-même;
et nous n'en jouissons pas parce que nous maitrisons nos passions,
mais c'est au contraire parce que nous jouissons d'elle que nous sommes en mesure de les maitriser.
J. F. Billeter, Esquisses, 2017,
p. 94
La béatitude n’est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu elle-même ;
et nous ne nous en épanouissons pas parce que nous réfrénons nos appétits sensuels,
mais c’est au contraire parce que nous nous en épanouissons que nous pouvons réfréner nos appétits sensuels.
A. Suhamy, 2020 ?
La béatitude n'est pas le prix de la vertu,
mais la vertu elle-même;
& si nous en éprouvons la jouissance, ce n'est pas parce que nous contrarions nos désirs,
c'est au contraire parce que nous en éprouvons la jouissance que nous pouvons contrarier les désirs.
P.-F. Moreau, 2020, p. 495
La béatitude n'est pas la récompense de la vertu,
mais la vertu elle-même;
& nous n'en jouissons pas parce que nous contrarions nos désirs lubriques.
C'est l'inverse, c'est parce que nous en jouissons que nous pouvons contrarier nos désirs lubriques.
M. Rovere, 2021, p. 855

-- Tableau 2 Éthique V prop. 42 --

Ces deux tableaux figuraient à l'origine dans un essai consacré aux Esquisses de Jean François BIlleter. Ils en ont été extraits pour souligner l'apport des trois dernières traductions en date.

 

 

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