- Tant que vous les avez fraiches à la mémoire, vous devez lui raconter les couches.

- C'est du travail, beaucoup de travail.

- Vous avez la capacité de vous plonger dans l'image.

- Je me fais plaisir.

- Ça se voit. Félicitations.

- Merci. L'ombre de Matisse vous inspire.

Le processus de création de l'image finale. Je n'ai pas assisté au choix du papier. Ni à la première esquisse. La sélection des couleurs est capitale: grand soin. La chromatique est à l'œuvre. L'œuvre en dépend. Quand le pastel y est, il doit encore s'étendre. Les index des deux mains servent, voire même le majeur. Le giron menu recouvert d'un essuie aux couleurs des pastels essuyés antérieurs est caressé fermement et devient le dépositaire du trop-plein. Au début, allers-retours continuels de l'œil vers le modèle. À d'autres, toute à sa vision, Aurélie choisit calmement les pastels posés dans son giron.

Les badauds qui n'y voient qu'une photo vite faite mal faite l'entourent pourtant d'une aura sarcastique dont elle sait s'abstraire. Le temps du pastel, le lien entre elle et son modèle est fort. Ces couches s'estompent l'une dans l'autre pour donner du relief sans jamais brouiller les contours principaux. Il s'agit de rendre hommage à la diversité humaine. Et ce détachement qui fait d'elle la non-détentrice de son œuvre. Pas même une photo.

L'art du portrait est plus complexe que le paysage. Il s’agit d’une âme à saisir. L'aura de la modèle effleure la portraitiste. Timides encore, Aurélie est plus proche de l'éclatement de son essence. Il aurait fallu photographier ces couches intermédiaires qui recouvrent la colère rouge que la modèle n'a pas encore décelée en elle peut-être; ou alors, elle la cache bien sous des dehors de jeune fille sage. C'est pourtant elle qui a un copain... Il s'est décidé très tard à aller retirer 200FF à un distributeur. Voulait-il assister le plus longtemps possible à la pastellisation de sa chérie? Nul ne saura.

En atelier, une modèle est payée pour prendre la pose, mais ne repart pas avec l’oeuvre. Ici elle paie et emporte. Aurélie, elle, pressent par pastels interposés un peu l'âme du modèle. Les premières couches peuvent être ce que nous prenons tant de peine à cacher. Et Aurélie les recouvre pour nous rendre visible à nos propres yeux. Faites-vous un nom. Elle signe main gauche. L'artiste s'efface immédiatement le dessin terminé. 2006


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