Une  petite  gare
Il  était une gare, un petit coeur de vie.
Où des bosses de sacs sortaient sur le perron.
Que le  bonjour goulu des enfants  attendait.
Un tricoteur simplet y vivait à demeure.
Et ses pupilles blanches n'étaient pas  des taies,
regardant par-dessus toute chose visible.

Une citerne soûle laisait boire la place,
Âmes froncées, corps perclus ne rinçaient pas les  récipients
Dur breuvage, dont le goût griffe même la vue.
Des amateurs de sauternes circulaient,
progressant à grands pas vers des tentes rayées.
(Qu'un  paria vient remplacer dans mon  esprit.)

Une chose me semble inauthentique  :
à la fenêtre d'un wagon, dans cette même direction,
se peut-il que je sois vraiment passée un jour  ?
Morosité maladive, place à la citerne :
détails assortis et plus menus  que nonpareille,
et l'oeil tourné vers l'intérieur ne les aurait pas lus  ?

Véloce  va-et-vient, patience renfrognée.
Le tricoteur restait grave et hautain.
Il voyait de son front renversé
les mailles inconnues des airs.
C'est en l'honneur de l'infini qu'il tricotait
une chaussette épique dépourvue de  bout.

Je me souviens mal à propos : après la crue,
lorsque le flux ignoble et tentateur
fait le décompte des objets perdus,
leader de l'infortune ou messager involontaire,
de quel géant solitaire git
sur le rivage la chaussure orpheline ?

Près du pus bagarreur, des désordres,
des quêteurs de trésors simples et nécessaires,
errait, en se signant devant un obélisque fruste,
la mère commune des miséreux vivants et morts.
Le tricoteur, aurait-on dit, m'imposait un précepte :
surtout que rien d'autre ne te tente.

ll  sévissait,  pourtant  ne  me charmaient
ni douceur étrangère ni fiatteries lassantes.
Juste un an de septembre à septembre.

Bella AKHMADOULINA, Née à Moscou en 1937 où elle vit.

  À l'arrivée à Marseille de l'express de Paris, on a arrêté le chauffeur, homme funeste aux colis postaux (Dép. part.)
***
Le sombre rôdeur, aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d'Herblay, est retrouvé: Jules Ménard, ramasseur d'escargots.
***
Dormir en wagon fut mortel à M. Émile Moutin, de Marseille. Il était appuyé contre la portière; elle s'ouvrit, il tomba (Dép. part.).
***
Gare de Mâcon, Mouroux eut les jambes coupées par une machine. « Voyez donc mes pieds sur la voie ! » dit-il, et il s'évanouit (Dép. part.).
***
Comme son train stoppait, Mme Parlucy, de Nanterre, ouvrit, se pencha. Passa un express qui brisa net la tête et la portière.
Wagon de l'en deçà
Le Trans European Express fleuri de suie
Mêlait l'ombre des nuits au bleu de ton regard
Pù tu brûles lointaine et j'écoute la pluie
Pianoter son deuil aux vitres du départ
Vers le pont qui soude les ultimes crevasses
Le vent du bout des chairs frise les catalpas
Et nos serments coulent ainsi que l'onde lasse
Dans la fuite anonyme des visages froids
Pourtant il faudra bien sur le quai de la gare
Agiter le mouchoir blanc des effusions
Déjà le TEE roule vers la nuit noire
Et chaque tour me répète la question
À laquelle répond l'exil de ton absence
Qui me fait signe du wagon de l'au-delà
Quel destin a rompu la trajectoire intense
Qui fut la nôtre avant qu'elle ne se brisât
À peine sentons-nous au transistor des paumes
L'oubli qui chante au carrefour de nos tilleuls
À force d'auditionner la femme et l'homme
Au bout du grand amour on se retrouve seul
 
Simulacres

Quais déserts
retours
départs
trains de nulle part

Comment abandonner
les images dont tu es née ?

En train
Tout devant moi le présent qui recule
Au loin l'horizon non moins vrai
Qui avance, plateaux d'une balance
Oscillant sans arrêt.

Je laisse de ma vie à ce beau paysage
Qui me fuit et retrouve à celui qui me vient
Douceur et plus qu'espoir dans cette double page                                 
Dont l'une tourne et l'autre me rejoint.

1967, p. 83

 
 
   Dans  le  rapide  de 19  h 40

Voici des  années  que  je  n'ai  plus pris le train
J'ai  fait  des  randonnées  en  auto
En avion
Un voyage  en mer et j'en refais  un  autre un  plus  long

Ce soir me  voici tout  à coup  dans  ce bruit de  chemin  de
fer qui m'était si  familier  autrefois
Et il  me semble  que  je le  comprends mieux  qu'alors

Wagon-restaurant
On ne  distingue  rien  dehors
Il  fait  nuit  noire
Le  quart  de lune  ne bouge  pas quand on le  regarde
Mais il  est  tantôt  à gauche,  tantôt  à droite  du train

Le  rapide  fait  du 110 à l'heure
Je  ne vois  rien
Cette  sourde  stridence  qui  me fait  bourdonner les  tympans
- le  gauche en  est endolori - c'est  le  passage d'une tranchée  maçonnée       
Puis  c'est  la  cataracte d'un  pont  métallique

La  harpe  martelée des  aiguilles  la  gifle  d'une  gare  le  double
crochet  à la  mâchoire  d'un tunnel  furibond
Quand  le  train  ralentit  à cause  des inondations  on  entend
un bruit  de  water-chute  et  les  pistons  échauffés  de la
cent  tonnes  au milieu des  bruits de vaisselle  et de  frein

Le Havre  autobus  ascenseur
J'ouvre  les  persiennes  de la  chambre  d'hôtel
Je  me penche  sur  les  bassins  du port  et la grande  lueur
froide  d'une  nuit  étoilée
Une  femme  chatouillée  glousse sur  le  quai
Une  chaîne  sans  fin  tousse  geint travaille

Je m'endors  la  fenêtre  ouverte  sur ce  bruit de  basse-cour
Comme  à la  campagne 192-3, from Le Formose 1924
 Comme  un aveugle s'en  allant vers  les  frontières
Dans  les  bruits  de Ia  ville  assaillie  par le  soir
Appuie  obstinément  aux ütres  des  portières
Ses yeux  qui ne  voient pas vers  l'aile  des mouchoirs

Comme ce rail  brillant  dans I'ombre  sous  les  arbres
Comme  un reflet  d'éclair  dans les  yeux  des amants
Comme  un couteau  brisé  sur  un sexe  de  marbre
Comme  un législateur  parlant  à des  déments

Une flamme  a jailli  pour perpétuer  Florence
Non  pas celle  qui  haute au  détour  d'un  chemin
Porta jusqu'à la  lune  un appel  de  souffrance
Mais celle  qui  flambait  au bûcher  quand les  mains

dressées  comme cinq  branches  d'une  étoile  opaque
attestaient  que  demain  surgirait  d' aujourd'hui
Mais celle  qui  flambait  au  chemin  de saint Jacques
Quand la  déesse  nue  vers  Ie  nadir a fui

Mais celle  qui  flambait  aux  parois  de ma gorge
Quand fugitive  et pure  image  de I'amour
Tu surgis tu  partis  et que  le  feu  des forges
Rougeoyait  les  sapins  les  palais  et  les  tours
(partim) 201 1930
 

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