L'auteur (33 ans) est un géographe spécialiste de la Russie. Il définit un voyage dans cet extrême-orient russe du Nord au Sud à la poursuite de l'automne. L'automne « est un éloge de la tristesse, et non du désespoir. Il m'est une paix sereine une fois l'an. Septembre, octobre et parfois novembre n'ont pas d'autre ambition que d'en finir posément. » 21
Sa plume géographe (son gps branché sur la version russe, Glonass 34) se fait volontiers poétique, aux confins de l'anthropologie; il est aussi un bon connaisseur de l'histoire des régions traversées. Il connaît la langue. À le lire, cela semble tout à fait indispensable pour apprendre des hommes qui vivent sur ces terres désolées. Même pour se (mor)fondre dans le paysage...
NELKAN fut « le refuge de gardes blancs lors de la guerre civile. Aussi tard qu'en 1927, la résistance y faisait rage, soutenue par les Japonais ou les États-Uniens. Un petit monument célèbre les tchékistes venus apporter le bolchévisme jusqu'en ces lieux reculés... Des fantômes de la monarchie erraient toujours dans les taïgas, dernier havre de bannis et de vaincus. » 58-59
« Nous sommes tous concentrés à ne pas se laisser éteindre par des ciels mornes. » 138
Cette errance fascinée dans l'extrême-orient russe, à l'écart des chemins aux fers balisés, est d'une telle excentricité assumée qu'elle en devient presque incompréhensible. L'ouvrage est un page turner comme disent les Anglo-saxons. S'il passionne un sédentaire comme Nulle Part, que dire d'humains bien davantage soucieux de fouiller les arrières-cuisines de notre planète.
Lire cet ouvrage confirme cette furieuse envie de s'ancrer au chez soi. Il ouvre avec brio notre regard sur des univers (extra)-terrestres et humains si éloignés de notre aventure intérieure... Il procure le voyage, ce livre. Il dit la singularité de chaque chemin du soi. C. Gras a trouvé ainsi un chemin d'écriture qui le personnifie. « Cette grande course automnale qu'il avait échafaudée vers Vladivostok a un nom au Japon: momijigari: la chasse aux feuilles rouges. » 170
« La noblesse terrifiée embarquait pour Shangaï, l'Australie, Nice... » 184
Vladivostok est très proche de la frontière chinoise (Jilin) mais aussi nord-coréenne. Le transmandchourien chinois, après Harbin, est parallèle au tracé du transsibérien extrême-oriental russe.
L'ouvrage suit son tracé très informé par la géographie et l'histoire. Il accompagne la lecture enthousiaste de trois cartes des énormes régions traversées... Rien de linéaire ni d'autoroutier cette automnale poursuite !