Le souffle qui appareille cette prose à l'ample envergure est la marque d'une vibration profonde & rebelle à tout atermoiement.
L'une ou l'autre citation en attesterait mais, si vous lisiez le roman, vous en sélectionneriez d'autres. Relectures confinées...


« Trop longue, une agonie cesse d'être pathétique pour n'être plus qu'ennuyeuse. » 165

Art poétique: L'auteur y distille, au détour d'une page consacrée aux "écritures" des Barbares du titre, un art poétique puissant et subtil, dans lequel je me reconnais assez bien:

« Le poème est la sténographie d'une vision. Il arrive que l'espace qui nous entoure offre à nos yeux un arrangement d'objets, de formes et de couleurs d'une nature telle que pour un fugitif instant il n'y a plus de contraste ni de frontière entre les méandres de notre rêverie et l'ordre secret du monde. C'est cela qu'ils notent en se donnant pour seule règle la plus grande simplicité, la plus explicite brièveté. » 105.

Jacques Izoard n'aurait, il me semble, pas renié cet art poétique lâché au détour d'une page relatant la vie des Barbares ayant envahi Terrèbre.


« Le désir de se délivrer de ce confinement en affrontant quelque réalité tangibe insidieusement nous incitait à nous heurter les uns aux autres dans quelque sotte querelle porteuse d'une illusoire diversion. Une embarrassante prudence nous commandait en conséquence de nous éviter, de nous retenir même d'échanger quelques mots dans la crainte de prononcer une parole malheureuse qui nous eût jetés les uns contre les autres comme des chiens soudain emportés dans un délire rageur. » 208


 

« Un enfant sans parents n'a pas d'âge. C'est pourquoi [sa] marraine [lui] reste si chère; l'ordre de ses jours commence à partir d'elle. » 150

(Le Prince au professeur:) « ... Je n'ai d'autre souci désormais que celui de retrouver l'enfant exilé que je fus. Car il est temps pour moi de saisir le fermoir de ma vie. » 189


« ... la modestie est la forme la plus sûre de la fierté. » 169


(Uen'Ord au professeur:)« La nature qui, pendant des siècles, les avait comblés de bienfaits a peu à peu repris ses dons. ... » 193


Margaret Atwood & Jacques Abeille ont de la nourrice une idée bien différente. Pourtant, les deux écrivains l'ont parée d'une fonction originale, chacun la sienne; elles paraissent complémentaires à celui de la mère. Celle de M. Atwood est bien connue: une PMA dictatoriale en quelque sorte. Celle de J. Abeille est bellement décrite par Félix au professeur qui tient la plume dans ce roman.

« ... Il est toutefois une région de la vie de son enfant à l'endroit de laquelle la mère est parfaitement démunie... Ainsi, tandis qu'il devient un jeune homme, ce garçon est-il terriblement seul – prisonnier, pourrait-on dire, de la plus écrasante des solitudes – pour tout ce qui touche aux relations entre les hommes & les femmes dans leur intimité. ... Quand une jeune femme se marie, parmi les jeunes filles qui participent à la fête, elle en choisit une à qui elle demande d'être un jour la nourrice de son futur enfant. & vous pouvez m'en croire, c'est là un engagement fort grave qu'aucune circonstance ne saurait rompre. ... et, le moment venu, c'est elle qui initie le garçon aux gestes de l'amour. ... » 148 (j'y aurais été favorable...)


« (Un bûcheron parle:) Vous êtes sans doute de grands guerriers, mais de bien piètres voyageurs; ce chemin ne mène nulle part. » 173


« Vous comprenez, ce sont les mains d'une femme qui donne sa peau à un homme. » 149


« Le sacrilège commence quand les mots et les choses perdent leur coeur. » 115


« Le savoir n'est pas un bien ?
- C'est aussi une force.
- Alors, cette force est bonne. » 94


« Le temps n'efface rien. Il transfigure & il faut l'aider à couler. » 146


Pour découvrir le parcours habité de cet auteur à nul autre pareil, sorti d'un nulle part fait de courges, je vous suggère

Un univers onirique immense soutient la plume de Jacques Abeille pour lui faire acquérir une cohérence qui se mesure d'un livre à l'autre. Il tisse de façon serrée trames et chaines d'un seul récit au travers de ses romans. Chaque univers appartient au point de vue qui s'y développe.
Jacques est aussi peintre. Les éditions Le Tripode y consacre une page avec ses oeuvres.

Ce roman fait l'objet d'une intéressante recension sur Noosphere. I. Rialland lui consacre un regard aiguisé sur le site La cause littéraire.


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