Dimanche 26 août 2018 Jazz au fil de l’eau. Cité ardente (Liège, Wallonie.BE)


Côté cour, notes de troisième rang, premier siège.

photo officielle de la sortie de Lobi, le dernier CD de S. Galland: les deux artistes du jour sont à droite sur la photo.

Voilà un festival qui renoue, pour ce concert, avec un parc que le jazz a longuement fréquenté en se concentrant en un seul lieu autour du Palais des Congrès, avant de devenir disparate et éparpillé en se professionnalisant avec une outrance grandiveuse, genre minauderies appuyées avec le capitalisme en prenant le nom d’un labo pharmaceutique comme marque déposée ! Mais c’est un autre débat… qui n’a rien à voir avec la nostalgie.
C’est l’époque qui veut ça. Ah bon ?


L’introduction de ce concert d’après-midi par Le directeur de la Maison du jazz insiste sur la synergie réussie de cet Au fil de l’eau qui en est à sa neuvième édition ainsi que sur l’excellence de la salle qui nous accueille.

Les deux artistes se faufilent ensuite vers leurs tableaux de bord musicaux, chacun le sien.

Les claviers de Malcolm Braff: un piano Yamaha occupe l’espace visuel; il peinera à certains moments à s’imposer face aux sons sortis des quatre autres claviers à la disposition de ces deux mains, plus le clavier alphanumérique d’un portable, et de l’inévitable boite à rythmes (999 jazzmutant…).
Mais j’anticipe sur le plaisir pris !

Les percussions de Stéphane Galland: l’excellence se pare de boiseries. Six caisses, six plateaux, deux pédales, deux baguettes. Et le Maître.

Ah oui, ceci quand même: un son acoustique épuré, dépouillé de ses afféteries, dans une bonbonnière comme l’auditorium du Musée de la Boverie, aurait encore magnifié la maestria qui nous sera offerte. C’est promis, j’arrête ! (enfin non, mais je délègue en note explicative finale)


Les deux artistes sur scène  sont plus qu’exceptionnels et j’ai pris un plaisir insurpassable à en être.

L’œil enfoui du pianiste Malcolm Braff guette le maître ès rythmiques: il l’observe, se met en prise avec la pulsation énergétique. À cet instant, au tout début, le regard de Stéphane Galland est entièrement tourné vers l’en-soi. Comme s’il devait s’accorder sur l’intense.

Quand la musique tient de l’ordre posé par la transe intérieure, cela donne ça: dix doigts qui volent sur les claviers en virevoltant, deux poignets qui animent les deux bâtons jusqu’à en faire les sorciers d’une magie perspicace. Les harmonies que l’électronique soutire aux claviers sont du M. Braff !
Leurs sons appariés ressortissent de l’énergie universelle/unie vers elles, tant leur vivacité est fusionnelle. Chacun va chercher chez l’autre de quoi s’infiltrer pour en magnifier la portée & la diffuser par brumisations appuyées dans la salle.

Aucun lâcher-prise. La corde tendue au-dessus du gouffre à notes insues corrige notre flux énergétique personnel; celui-ci s’y ébouriffe à en perdre haleine en affrontant tant de perfections conjointes.

Deux boucles récursives incurvent les flux, les nettoient de leurs scories. Elles s’engouffrent. Aucune perte. Tous profits.

Rythmiques sophistiquées, répons à l’envi, moulages/démoulages sonores s’amoncèlent en se rangeant, complices, sans une éraflure. La complicité manifestée se glisse dans l’univers sonore généré par l’autre, un faufilé généreux sans un faux-pli. Un surpiqué façon dentelle de Calais.

Chaque « plage » est longue, d’une démesure imparamétrable pour la pub radio, chacune occupe tout le volume de la bonbonnière, écope la moindre goutte égarée pour l’éparpiller dans l’immense.
Cet après-midi, j’ai accosté à deux effusions incommensurables au bout de cette neuve passerelle surplombant la Meuse.

Un solo de batterie inaugure le troisième acte de bravoure. Les arrêts, les sons suspendus tressaillent au cœur de la fibre nerveuse.

Leur complicité tient de la synergie ciselée de deux sphères ajourées dont mille feux jaillissent à chaque seconde. Scintillements pulsés. Un des claviers va chercher les deux bâtons pour les croiser en fusionnant chaque intransigeance sonore à leur boucle intemporelle.

L’intériorité nécessaire à cette double perfection-là subjugue, terrasse, enracine plus profondément encore.

Leurs ponctuations sonores structurent chaque paragraphe d’intuitions, les chapitres pressentis tressaillent de bonheur, puisque tout a dû avoir été écrit.

Leurs pas de deux sont multitudes habitées dans la plaine qui surplombe chaque plage dans un paysage opalescent.

Les partitions s’effacent derrière la créativité d’instants posés en équilibre par dessus les chutes de Zongo sans cordes de rappel. Un univers tropical nous parcourt.

Leurs palettes graphiques sont tellement étendues que les deux musiciens se jouent de nos limites.

Le claviériste sait aussi servir la note individuée, répétitive, lancinante, arrachant ce large sourire au batteur; l’étonnement aussi, porté par une légère surélévation du sourcil gauche, tendant la paupière, libérant un émerveillement approbateur.

L’innervation universelle adhère au plus intime comme au plus exubérant des jazz sans jamais révéler la somme des couches nécessaires à ce façonnement artisanal-là.

Leurs transitions se font tour à tour coulées, abruptes, éruptives, en pentes douces, coulissées, chahutées, excavées, creusées dans le diamant brut.

Parcimonieux autant qu’affluent est ce monde.

Deux fauves mêlent leurs influx chromatiques annotés en un bain de saveurs éprises d’espaces. La salle s’en imprègne.

Chaque jour apporte sa pierre à l’épure d’un parcours.

Leur palette rugissante possède cette subtilité travaillée qui n’érafle rien au passage et que rien n’attend au retour. Rien à retirer de ce concert: tout était à sa place: ambiances aériennes, romantiques parfois, à vous en couper le souffle. Il s’agit d’étonner l’autre à chaque instant, sans le surprendre, pour mieux y suspendre chaque seconde en y déroulant un tapis de notes rougeoyantes.

Chemins aux virages en épingle à cheveux, lignes droites indéfinies, boucles récursives, spirales descendantes ou montantes sans la manifestation du
moindre essoufflement.

Respect infini, Messieurs.


Une note explicative
L’exceptionnel d’une présence cet après-midi dans une salle de spectacle s’explique en gros par ceci:

  • le rituel de l’attente du commencement;
  • après le rituel annonçant le faux début de concert à 14h45 – destiné à s’assurer la présence humaine « à l’heure »; à la rendre disponible à la
    civilité;
  • dommage que cela n’empêche pas l’organisation d’être quand même en retard sur l’horaire prévu, elle...
  • et de rater la navette fluviale – pas cap’, la navette, d’attendre que le concert se termine pour emmener les spectateurs qui le souhaitent au
    concert suivant - ! Elle n’a pas le sens du groove, la navette ! Ou le jazz le sens de la réalité. Je penche pour la seconde branche de l’alternative;
  • ces ritualisations concertées ne sont nullement insupportables mais, les ayant percées au jour, elles sont simplement devenues dispensables;
  • comme l’est, par ailleurs, l’omniprésente électronique – destinées à simuler la présence d’autres instrumentistes…
  • + la débauche sonore de l'omniprésente technique – neuf baffles au moins, tournés vers les spectateurs dans une belle salle récente, aux dimensions modestes, à l’acoustique travaillée qui n’en demandait pas tant, est  une autre inadéquation voulue/imposée par la marchandisation électronique.

Le monde avance, tente-t-on de m'expliquer sans me convaincre… Vivre à côté de ce temps qui passe mal & progresse à reculons ! est aussi un choix…Et vivement le prochain Chantal Mouffe !

Bon, cela dit : je dis ça, je dis rien !


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