Robert Misrahi, ce formidable exégète des écrits de B. Spinoza, conduit notre meilleure connaissance de ce que l'auteur entendait par ce mot même.
« C'est la connaissance (et non la croyance ou l'imagination) qui permet l'établissement de l'unité du monde... C'est la connaissance (et non la volonté) qui permet la maitrise du Désir et des affects, la victoire contre la servitude et la liberté véritable.... C'est enfin la connaissance (et non pas la fusion mystique) qui permet l'accès à l'expérience d'être et à ... la sagesse » que Spinoza nomme béatitude.
Cette théorie de la connaissance constitue et décrit le « seul instrument de libération qui soit en notre pouvoir. »
« La connaissance procède par concepts. ... Ces actes sont des idées ... Mais l'idée est aussi une conscience, c'est-à-dire une conscience de soi. ... L'idée vraie est "adéquate", elle livre la totalité des déterminations de son objet, et elle s'inscrit dans la chaine nécessaire des idées vraies.
La connaissance n'est donc pas l'exercice d'une faculté qui serait la raison, elle est l'activité consciente et conceptuelle de l'esprit humain comme tel. ... L'esprit est l'idée du corps: il est par lui-même possibilité de conscience et de conceptualisation. Il peut toujours passer d'une idée (accompagnée de l'idée de soi-même) qui serait inadéquate à une idée qui serait adéquate.
... La bonne méthode de la philosophie sera "la méthode réflexive". ... Le déploiement du système [d'idées] est précisément la raison. Elle utilise des "notions communes" et des concepts généraux ... issus de l'expérience et de la comparaison des corps.
... Spinoza distingue trois genres de la connaissance.
Premier genre= la connaissance empiriste et sensualiste: ... elle est passive et répétitive. Elle n'est en fait qu'une apparence de connaissance et reste la source de toutes les illusions. Remarquons que la critique de l'empirisme n'implique pas un rejet du corps .... La connaissance comme activité réfléchie d'un esprit, est aussi l'activité d'un corps dont cet esprit est l'idée.
La connaissance empiriste et sensualiste ne peut produire que l'imagination illusoire et la fausseté des idées tronquées.
Deuxième genre= la connaissance rationnelle. Elle procède par l'enchainement déductif et par l'emploi des "notions communes". La raison n'est pas une faculté mais l'activité réflexive et méthodique de l'esprit. ...
Seule la connaissance rationnelle peut engendrer un système d'idées adéquates relatives aux structures de l'être (substance, attributs, modes) et c'est seulement à partir de cette connaissance rationnelle de l'unité de l'être (la nature) que peut émerger la saisie intuitive du lien entre les choses singulières et la nature infinie
Troisième genre= la science intuitive. Elle ... est la saisie d'un rapport, cette saisie étant intuitive: la science intuitive est la saisie intellectuelle (et immédiate) du rapport entre un attribut infini de la nature et un mode singulier de cet attribut.
La science intuitive n'est ni une mystique ni un mystère: elle est l'appréhension intellectuelle immédiate du lien entre les réalités singulières et l'aspect spécifique de la nature infinie qui les fonde, qu'il s'agisse respectivement ou des choses ou des idées.
Cette science intuitive est en effet la saisie de l'immanence, la pensée évidente de l'insertion des réalités singulières et limitées dans l'un des aspects infinis de la nature infinie. Elle implique donc la libération par rapport à tous les mythes de transcendance et de libre arbitre. Si la science intuitive libère l'esprit de l'imagination et de la servitude, c'est que cette science, ce savoir, est d'abord issue du deuxième genre de la connaissance [la connaissance rationnelle] et non du premier [la connaissance empiriste et sensualiste].
On le voit, conclut R. Misrahi dans le dernier paragraphe qu'il consacre au mot CONNAISSANCE dans cet ouvrage, toute la sagesse spinoziste est le fruit de cette science intuitive, puisqu'elle seule nous convainc "de l'intérieur" de l'unité du monde et nous conduit à la plus haute joie. »