Méditation sur G. Rensi, alors que le train s’enfonce dans le grisâtre automnal.
Spinoza, Giuseppe Rensi, éditions Allia, 2014; traduit de l'italien par Marie-José Tramuta. Le texte italien date de 1929.
« L'œil de Spinoza fixé sans voiles sur la réalité ne cède pas plus aux bons sentiments que celui de La Rochefoucauld. Il n'existe qu'un seul sentiment fondamental: l'égoïsme, l'amour de soi, l'instinct ou conatus de conservation, la volonté de vivre. Tronc unique d'où bourgeonnent tous nos états affectifs, en première ligne, la joie et la tristesse, et à la base de celles-ci le désir à la faveur de ce qui favorise ou attente à notre conservation, elles-mêmes éléments d'augmentation ou de diminution de cette dernière; et puis la haine et l'amour pour l’objet qui nous cause tristesse ou joie, autrement dit augmentation ou diminution de notre être, la crainte ou l'espérance si cet objet n’est pas présent, et ainsi de suite. »
Avec une grande clarté - dans laquelle il est nécessaire de prendre le temps d'entrer -, Giuseppe Rensi expose les concepts et théories qui ont émaillé l'œuvre de Spinoza. Pour cela, il n'adopte pas la distance du chercheur ou de l'exégète mais se glisse dans la peau du penseur pour en communiquer le point de vue essentiel. Il pose après lui les grandes questions métaphysiques, toujours d'actualité:
- Qu’est-ce que l’être ?
- Quelle perception avons-nous de la réalité ?
- Est-ce que la nouveauté existe ?
Ce n’est pas la première approche que j’entreprends de ce penseur hollandais du 17e siècle, notamment grâce à André-Comte Sponville qui a écrit des pages éclairantes sur ce philosophe.
Rensi s'attache à nous rendre accessible la pensée du philosophe hollandais en démontrant la cohérence de ses différentes thèses, qu'elles soient métaphysiques, anthropologiques, morales ou politiques. La définition de l'Être comme substance éternelle est le point de départ d'une trajectoire dont les contradictions ne sont qu'apparentes. En tentant de les résoudre, Rensi nous propose une réflexion philosophique à part entière en livrant son interprétation personnelle des apports du penseur hollandais. Il va même jusqu'à impliquer directement le lecteur dans sa réflexion en ancrant la philosophie de Spinoza dans l'expérience. Le souci pédagogique de l'auteur italien, son recours à des images et des analogies, son enthousiasme même, dynamisent et rendent actuelle la pensée de Spinoza.
Une idée est l’acte même de comprendre. Une idée est un concept de la pensée.
- « Les idées sont des productions originales spontanées et vivantes de notre esprit, des points de vue qui s’originent en lui. » (Rensi, 65) Une idée est un point de vue qui a l’esprit pour origine.
- « L’entendement » (pris comme synonyme d’esprit) « construit l’idée. La sensation ne nous donne pas la connaissance (R, 66) et il faut qu’elle soit interprétée par la pensée. La sensation doit être rendue vérité objective par la pensée. »
Pourquoi est-ce que parfois il y a des lueurs dans ce livre ardu ? Serait-ce que je suis davantage en éveil (train, 10h25).
MALAXAGE MÉDITATIF
- La maîtrise que l’esprit a sur le corps pendant ce temps de translation me frappe. Plus généralement, je le trouve davantage docile, non ce n’est pas le mot, apte au compromis avec l’esprit; davantage confiant en ce que l’esprit ne lui veut aucun mal, entend le besoin manifesté par le corps – une sensation, tel un gargouillis, un (très) léger échauffement et gère le temps de façon à le satisfaire dans un délai raisonnable et non plus dans l’urgence, comme si toute affaire devait cesser dans l’instant. Il (le corps) se révèle donc moins capricieux, moins dictateur. C’est comme si le corps trouvait moins nécessaire de s’imposer, de prendre tout le pouvoir.
- Cette idée est l’émanation directe de l’attention qui est portée à la sérénité de mieux en mieux enfouie en soi (1eméditation ci-dessus).
CORPS-ESPRIT (corps-conscience)
- Je suis la manifestation perçue de ce corps-esprit spinozien. Je perçois par cet exemple la matérialité du lien qui les unit. C’est au cœur de cette relation corps-esprit que le travail doit s’entreprendre pour que l’esprit conduise le corps à maigrir, pour que le corps accepte en confiance la guidance spirituelle.
- C’est au cœur de cette relation de confiance qui s’établit entre le corps et l’esprit que j’unis que mon amie-la-gourou devrait pouvoir s’immiscer. Elle doit s’y immiscer, au cœur de cette relation de confiance jeune, avec ses instruments propres… de manière à conforter, à renforcer la volonté, à la rendre, cette volonté, davantage adéquate sur la durée.
- C’est un peu comme si je ressentais mieux à présent être la résultante d’un corps et d’un esprit et qu’il leur revient, avec mon aide, avec son soutien en ce qu’elle me soutienne afin que se mène à bien, armé de cette neuve sérénité enfouie en soi, à laquelle je porte davantage attention, - de mener à bien cette déflation1 du corps-miroir par une volonté plus uniforme grâce au meilleur colmatage par sérénité et par bonheur pêché dans l’instant. [Voilà que je me mets à rédiger comme Rensi ! Mais je trouve cela utile. Cela m’ancre au cœur de cette relation corps-esprit (j’ai écrit cœur esprit…)].
- Je suis donc davantage conscient d'être une conscience, grâce à une paix intérieure mieux installée,
- grâce à une harmonie, une meilleure harmonie entre le corps et l’esprit. L’un héberge l’autre. L’autre pilote l’un et l’autre au moyen d’idées qu’il soumet à l’entendement, à la pensée.
- C’est un tout qui paraît cohérent.
- Dès que j’ai eu repris la lecture de Rensi dans le train, cette belle méditation se fait jour à pas lents, non comptés, dans les méandres d’une idée qui émarge à, émerge de l’entendement pour définir le lien entre le corps et l’esprit, entre ce corps singulier et cet esprit singulier. Ce trajet de retour est celui de la meilleure compréhension qu’il me semble acquérir sur le Spinoza de Rensi. Il me parle, un franc est tombé sans savoir trop comment. Le malaxage méditatif y contribue.
- (Rensi, 73) « Nous cherchons par la lecture (de Rensi !) et les méditations à nous rendre claire et assurée la connaissance qui correspond à la volonté que nous voulons avoir. (R. 75) Chaque idée singulière … est un vouloir s’affirmer (vraie)… Le mode par lequel on connaît et le mode par lequel on veut ne font qu’un. »
- Cet enchaînement, je le tiens pour une « connaissance certaine» qui « tient de ce que les choses sont liées entre elles et inscrites dans la totalité; mais il ne nous est pas donné de connaître cette totalité; aussi ne pouvons-nous rien parfaitement et pleinement connaître. » (R, 62) Grâce à sa prose serrée, je deviens davantage spinozien, à l’intime de ses enchaînements. « Ce qui est vraiment mon idée, ma pensée et non simplement des mots, des bavardages, est ma volonté même. » (R, 72) « Spinoza établit que le jugement (acte de l’entendement) » – la pensée – « est tout un avec l’intention, le désir… » (R 74)
- « Chaque idée singulière est en même temps et de façon indissoluble » - intimement liée - « volition, elle est un vouloir être, une exigence d’être vraie, un vouloir s’affirmer (vraie)… » (R, 75)
- Mais, et c’est le plus extraordinaire, enfin je trouve, tout ce raisonnement qui lie intimement idée et volition débouche sur un exemple, deux pages plus loin, celui de l’ivrogne, donc d’une assuétude.
- Spinoza admet ceci: « Je vois le meilleur et je fais le pire ». Cela ne se passe que lorsque « nous sommes partagés entre des sentiments contraires ».
« Autrement dit, il y a absence de concordance entre entendement et volonté lorsque la volonté n’est pas certaine, oscille… » (R, 75) Quand on n’est pas assuré dans sa connaissance à cause d’une volonté contradictoire et fluctuante.
- Le ‘‘Je vois le meilleur et je fais le pire’’ se base sur un malentendu. Chez l’ivrogne, qui le matin l’esprit lucide perçoit (connaît) son vice comme délétère, cette connaissance ne fait pas qu’un avec la volonté: ‘’Ne bois pas’’. Mais le soir venu, lorsqu’il cède au vice, cette volonté en lui ne fait qu’un avec une connaissance devenue autre (pour une fois ça ne portera pas à conséquence, il faut bien se consoler de ses souffrances, ça ne vaut pas la peine de se priver d’un plaisir dans une vie si brève, etc.). L’équivoque du « je vois le meilleur et je fais le pire » naît de l’union arbitraire de la connaissance du matin et de la volonté du soir. »
- Bien sûr, être comparé à un ivrogne ne me plaît pas, mais je sais maintenant (de connaissance sûre et internalisée) que le processus est le même et suis donc prêt à entreprendre ce chemin neuf.
J’aimerais donc, pour conclure, que le travail croisé entrepris puisse aider le corps-esprit, dans son détachement d'une assuétude, à renforcer la volonté première dans la poursuite d’une vertu au nom de cette connaissance sûre et internalisée.
1 Déflation menée presque à son terme conduit par L'anti-régime de M. Desmurget (éd. Belin), encore inconnu à l'époque où cette méditation a été rédigée. L'impuissante volonté était déjà présente: j'en suis étonné... Note du 14 8 16
Rédigé le 24 et le 29 09 14 ; revu le 5.10.14 & 20 05 15. Transféré sous B. de Spinoza le 14 08 16.