Spinoza se protège. Le sceau de son courrier porte la devise Caute, méfie-toi.
Au XVIIe, il ne fait pas bon nier dieu. Donc, il est omniprésent dans l'Éthique. Spinoza avance « masqué », oserais-je « voilé »... Il en offre une seule fois le décodage & le dissimule dans le commentaire d'une proposition (la quatrième) de la IVe partie ! Il est dès lors plus clair pour notre bonne compréhension chaque fois qu'il utilise « dieu » nous lisions « la nature ». C'est en tout cas la thèse de R. Misrahi, à laquelle j'ai librement choisi d'adhérer.
Convenons que Spinoza s'exprime en noir, R. Misrahi en violet et mes annotations en bleu.
I, PROPOSITION 11 « Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle & infinie, existe nécessairement. |
I, Définition 3 « Par substance j'entends ce qui est en soi et |
IV, PROPOSITION 4 La puissance par laquelle les choses singulières, |
Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe PROPOSITION 7 de la partie III |
Ainsi la puissance de l’homme, en tant qu’elle s’exprime par son essence actuelle, est une partie de la puissance infinie de Dieu, ou de la Nature, c’est-à-dire (par la PROPOSITION 34, partie I) de son essence. Ce qui était le premier point. |
I, PROPOSITION 34 La puissance de Dieu est son essence même. |
[Deuxième point de la démonstration, introduit par « Ensuite » (à suivre...)] |
Trois reformulations syntaxiques successives du premier point de démonstration. Elles peuvent peut-être éclairer le propos tenu dans le premier point de cette démonstration de l'Éthique IV, proposition 4:
Spinoza commence par proposer à notre réflexion qu'il « est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la Nature & ne puisse subir d’autres changements que ceux qui peuvent se comprendre par sa seule nature & dont il est la cause adéquate. »
Pour davantage de clarté, la démonstration précise le propos tout en y cachant une définition par équivalence (le fameux sive, que R. Misrahi traduit de manière convaincante - il en démontre la pertinence dans son introduction - par « c'est-à-dire »):
Première reformulation: La puissance par laquelle l'homme, qui est une chose singulière parmi d'autres, conserve son être est la puissance même de la nature.
C'est-à-dire (deuxième reformulation):
C'est par la puissance même de la nature que l'homme, qui est une chose singulière parmi d'autres, conserve son être.
Troisième reformulation, plus complète tenant compte de la suite de la démonstration: L'homme conserve son être par la puissance même de la nature, au même titre que les autres choses singulières, dont il fait partie. Cette puissance de l'homme s'exprime par son essence actuelle & n'est pas infinie (en effet, il meurt, sa vie a un terme; Spinoza le précisera dans le deuxième point de sa démonstration.) L'homme fait partie de l'essence de la nature.
L'homme est nécessairement une partie de la nature. L'homme contemporain, nous-mêmes & tous nos semblables, fait partie de la nature. Il a d'ailleurs tendance à l'oublier trop souvent, à n'être plus du tout en contact avec elle. Il s'est décosmisé, dit Augustin Berque: il n'a plus conscience de faire partie du cosmos (voir "décosmisation" dan la terminologie mésologique dynamique). L'homme fait partie de la nature. L'homme comme chose singulière peut changer puisqu'il est mortel, fini: il a une fin.
En étendant le principe de la reformulation syntaxique à l'ensemble de la quatrième proposition, quatrième partie de l'Éthique, y compris le premier point de la démonstration, cela pourrait donner ceci, en écartant quelques précautions oratoires propres au XVIIe siècle & dues à la raisonnable méfiance dont Spinoza faisait preuve en toutes choses, notamment les (doubles) négations:
L'homme fait nécessairement partie de la nature. L'homme ne peut subir que les changements provoqués par sa nature même. Sa nature, l'homme en est la cause de soi adéquate.
L'homme conserve son être par la puissance même de la nature qui s'explique & s'exprime par son essence humaine actuelle. Cette puissance de l'homme est une partie de la puissance infinie de la nature. Ceci conclut le premier point de la démonstration.