J'hésite à écrire sur ce livre tant j'aurais voulu éviter à l'auteur une forme d'orgueil face à l'enthousiasme anonyme que cette page pourrait consacrer... Pourtant... Mais le mouvement d'écrire est ici aussi irréfragable... Assumons !

Lire ce Clan, c'est suivre pas à pas la pensée de Bento Spinoza à mesure qu'elle se forme, se transforme, se déforme, se réforme à partir du connu, du certain qui l'étaient à l'époque. Mais pas que.

Ce clan, Spinoza n'en est pas l'unique centre; il n'en est même presque pas le centre: ce livre nous plonge dans l'univers d'esprits libres & éclairés du milieu de ce siècle.

Ce clan n'est pas un roman: bien mieux, une plongée dans le XVIIe siècle vu des Provinces-Unies: il nous ouvre un coffre plein de joies et de trouvailles. Il nous montre par exemple comment des lentilles, après avoir permis de saisir l'infiniment grand (téléscopes) permettent ensuite de saisir l'infiniment petit (microscope) par un polissage différent.

Cet univers multicentré fascine par l'ampleur qu'il nous offre de découvrir: il s'agit d'un monde réel -- authentifié par l'auteur -- qui revit sous nos yeux. Ce monde a habité  sa plume pendant cinq ans ! M. Rovere nous restitue assez brillamment l'ambiance, l'atmosphère -- oui, ça a de la gueule ! --. Cela tient la route.

La progression paisible peut à l'occasion se faire lente tant les débats foisonnent dans ces pages. Des dialogues enlevés, des soirées mémorables, des observations fines.

Tout lecteur appréciera l'adossement de cet ouvrage à un site Internet tenu par l'auteur: un clic sur l'image vous y emmène.

Avoir lu ce Clan, l'avoir vu vivre et mourir, délivre des instants, des notes, des phrases extraites du livre.

  • Spinoza à Jellesz: Tu sais que la vertu contient en elle-même sa propre récompense. La vertu apporte la joie. Nous jouons une partie sans récompense, sans gain, san rien. Nous ne nous débarrasserons pas des humains tels qu'ils sont. Nous ne les amenderons pas, nous ne les instruirons pas. Ils continueront éternellement de se nuire par leur sottise*, manipulés par leurs passions. ... Jamais les gens de bien ne seront ni les plus forts, ni les plus nombreux. Voilà ce que signifie la phrase de Sénèque: La vertu est sans récompense. Inutile de nous rêver en capitaines de l'humanité. 459

* Ignorance serait moins méprisant, non ? L'auteur fera bien pire encore que sottise... (Merci en suivant le lien de jeter un œil sur la couverture d'un ouvrage du même auteur paru en février 2019... la couverture figure à la fin de l'essai; je vous la laisse découvrir !)

  • L'évêque Sténon (brillant anatomiste avant de se convertir au catholicisme) avoue à Leibniz, dans une lettre qu'il n'enverra jamais, qu'il a fini par désespérer de la capacité des mots à exprimer les vérités de l'âme... Ses forces les plus intimes viennent de basculer dans le silence. 539 Basculer dans le silence: Au détour d'un paragraphe, Maxime Rovere maitrise aussi l'art subtil d'utiliser la langue pour dire poétiquement l'existence.
  • Emmanuel (le grand-père du philosophe) ne prospère pas à Amsterdam comme il aurait pu l'espérer. A-t-il surestimé l'importance économique des liens entre les anciens marranes ? Personne, ni de l'intérieur ni de l'extérieur de la communauté, ne s'imagine qu'il puisse y avoir une solidarité entre les marchands juifs, car dans le commerce, il n'y en a pas. 46
  • Uriel da Costa soutenait, avec les médecins modernes, que l'âme se trouvait dans le sang et donc mourait avec le corps. Il rappelait que la croyance en une âme immortelle avait été introduite par des gouvernants ambitieux afin que leurs peuples s'enorgueillissent de mourir -- les hommes à la guerre, les femmes sur les tombes de leurs maris. 53
  • L'histoire est une truie aveugle qui dévore ses enfants sans même les reconnaître. 58
  • On n'écrit pas des lois pour ce qui n'arrive pas. 78
  • Désireux d'approfondir son envol hors du temps... 85
  • Les trop grandes inégalités détruisent le sens du bien commun. 109
  • Les humains se croient libres seulement parce qu'ils ignorent les causes de leurs choix. 135
  • Aucun destin ne m'est donné... Je n'ai nulle part... 144
  • Je vous engage à la patience, sans désirer ni craindre les brusques changements. 144
  • Aussi longtemps que l'esprit se tourne vers les pensées philosophiques, il se détourne en même temps de ses soucis. Cela m'est d'une grande consolation. 161
  • Nous devons essayer de procurer aux gens les moyens d'où surgira la force qui permettra, à chacun d'eux, d'accomplir ce qu'il est appelé à faire. 175
  • Il ne voit près de lui que des hommes qu'il a choisis, qu'il reconnait lui-même comme ses semblables. Ce que nous ne pouvons par destin, nous l'acquerrons quand même, par une résolution délibérée. 194
  • Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, il y a toujours quelqu'un pour vous prendre au sérieux. 243
  • Nous exhortons tout homme à se tourner vers la lumière qui est en lui. P. Balling 246
  • Le philosophe ne se destine pas à orienter ses semblables dans la vie. Il travaille à modifier les manières de penser. 246
  • Le propre du philosophe n'est pas d'avoir raison, il guette le moment d'avoir tort. 304
  • Le philosophe n'est pas un savant. Il ne découvre la vérité qu'à chaque fois qu'il trébuche. 304
  • Au XVIIe siècle, écrire de la philosophie est tout sauf une activité calme et détachée. Penser est un acte, écrire est un acte, un geste de courage extraordinaire et dangereux. 328
  • On n'agit qu'en comprenant. 353
  • La beauté, sous ses airs d'innocence, est une arme dangereuse. 364
  • Dans l'éthique, une proposition quelconque est toujours un désir qui cherche à prendre forme. 429
  • Nul ne peut que ce qu'il comprend. P. Balling 429
  • Les ennemis les plus acharnés d'un livre sont souvent ceux qui ne l'ont pas lu. 477

Maxime Rovere a été reçu le 27 octobre 2017 par l'émission « Les chemins de la philosophie » sur France Culture. Le lien vous y renvoie.

 

 

 


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