La langue anglaise a aussi cette saveur particulière qui en fait un intermédiaire bienvenu entre le latin et le français. Edwin Curley rend par exemple la dernière phrase du dernier scolie de l'Éthique dans une introduction par: All things excellent are as difficult as they are rare.

Éth. V P42, S

B. Pautrat: Et il faut bien sûr que l'on trouve difficile ce que l'on trouve rarement.

R. Misrahi: Et cela certes doit être ardu qu'on atteint si rarement.

E. Curley: And of course, what is found so rare must be hard.

Silverthorne & Kisner: But all noble things are as difficult as they are rare.


Dans le même scolie, All things excellent are as difficult as they are rare.

B. Pautrat: Tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare.

R. Misrahi: Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare.

L. Meillet: Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare.

Le terme latin: PRAECLARA. Le dictionnaire de F. Gaffiot livre deux sens:

  1. très clair, lumineux, brillant, étincelant
  2. fig. brillant, remarquable, supérieur, excellent, etc. (l'etc. est de Gaffiot !)

Le champ sémantique de ce mot latin semble à tout le moins fort étendu pour les différents traducteurs...


La 42e et dernière proposition de l'Éthique V offre ainsi une étude contrastive assez large:

Silverthorne & Kisner (2018): Blessedness is not the reward of virtue, but virtue itself; & we do not enjoy it because we restrain lusts; on the contrary, we are able to restrain lusts precisely because we enjoy it. 249

Curley (1985): Blessedness is not the reward of virtue, but virtue itself; nor do we enjoy it because we restrain our lusts; on the contrary, because we enjoy it, we are able to restrain them. 616

Elwes: Blessedness is not the reward of virtue, but virtue itself ; neither do we rejoice therein, because we control our lusts, but, contrariwise, because we rejoice therein, we are able to control our lusts. (Elwes - en: 1887, tel que transcrit par ethicadb.org.)

Syntactiquement, la phrase de la traduction anglaise la plus récente bénéficie d'une fluidité assez remarquable. Son lexique s'est également clarifié en se simplifiant; autrement dit, la syntaxe et le lexique semblent se détacher quelque peu du corset syntaxique du latin sans le trahir. La traduction SK va nous ouvrir à d'autres possibles.

Par ailleurs, le glossaire inclus anglais dans Silverthorne & Kisner, contenant des définitions utiles, est aussi écrit avec un bel aplomb:
Blessedness: equivalent to the highest happiness, though blessedness has more religious connotations. See Happiness, highest.

Happiness, highest: the self-contment that arises from augmenting one's power of action through the intuitive knowledge of [nature] & recognizing oneself as the cause of this change.


Le premier traducteur, qui semble bien en cour auprès de la sphère spinoziste francophone, est Edwin Curley - 1937. Son premier volume contient entre autres l'Éthique. Il a enseigné la philosophie à l'Université de Michigan. Ses deux bibliographies, une par volume, révèlent des connivences philosophiques intercontinentales.

La bulle philosophique internationale autour de Spinoza semble immense. P.-F. Moreau et E. Curley (EC) se connaissent. Ils ont coédité un livre en commun.  EC a contribué au Liber amicorum offert à Alexandre Matheron, dont, par ailleurs, il cite de nombreux écrits. C. Jacquet, A. Koyré et S. Zac font également partie de son univers; comme d'autres. La sphère néerlandaise autour de F. Akkerman et P. Steenbakkers  lui est familière, et notamment pour le manuscrit découvert à la bibliothèque vaticane dont il mentionne l'existence dans le deuxième volume. Sa traduction de l'Éthique n'a évidemment pas pu en profiter puisque, entamée en 1969, il l'a publiée dans son premier volume des Collected works of Spinoza en 1985.

La traduction offerte par M. Silverthorne et M. Kisner (SK) en 2018 chez Cambridge en a bénéficié, elle, avant même que cette version vaticane de l'Éthique ne devienne disponible à toutes & à tous, accompagnée de la traduction française de P.-F. Moreau et de son équipe (aux PUF).

La traduction de SK fait l'objet d'un essai séparé sur Nulle Part. L'ouvrage, indisponible chez l'éditeur, est pourtant offert sur la toile (via Bookdepository, une succursale d'Amazon - grrr -); les voies de la circulation du livre sont devenues entièrement dépendantes de ce géant qui contribue à la pollution extrême de notre planète.

Cette traduction anglaise est intéressante car il y est tenu compte de la mise à jour du texte latin, version Gebhardt (1925) améliorée (2011), pour nous proposer une traduction qui diffère de celle d'E. Curley.

En étendant le domaine d'intéressement sur Nulle Part à deux traductions en langue anglaise des Opera Posthuma, des convergences se repèrent, des ouvertures se révèlent, des occasions se saisissent. Un domaine d'investigation s'ouvre. Cet élargissement aère, dépoussière...


La sphère néerlandaise autour d'Akkerman est familière à E. Curley, et notamment pour le manuscrit découvert à la bibliothèque vaticane. (2e volume). La langue néerlandaise fait aussi l'objet, dans les deux volumes, d'un traitement systématique. Les deux traducteurs, Balling (ETH I & II) & Glazenmaker (le reste) étaient des contemporains de Spinoza. Il les a probbalement choisis & fréquentés. Cela confère une autorité à leurs traductions que d'autres, bien plus tardives, n'ont plus.


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