Cet ample essai de Jean François Billeter figure dans Chine trois fois muette. Je dispose du tirage 2016 d'un ouvrage originellement paru en 2000 et non retouché depuis (Préface à la seconde édition, 7), sauf coquilles & quelques clarifications de détail.

Cet Essai sur l'histoire chinoise, d'après Spinoza clôt l'édition de 2016 de Chine trois fois muette (91-140). Il a évidemment tout pour plaire: s'y conjoignent deux fils philosophiques majeurs sur ce site. J'en avais complètement oublié l'existence alors que les surlignements & annotations nombreuses que j'y ai laissés indiquent pourtant une lecture attentive. Le droit à l'oubli est un droit humain, n'est-il pas ?  Ces nombreuses traces vont orienter les foulées d'une lecture qui tendrait peut-être même vers une forme d'intégration plus complète grâce aux notes de carnet que je vais prendre.

Cette lecture à neuf menée en janvier 2022 puis en octobre de l'année suivante, me semble être davantage informée encore, à la fois sur Spinoza et sur Billeter; d'où les annotations complétées ci-dessous. Cette recension, qui fourmille de citations, me paraît désormais être aboutie.


L'essai se structure autour de ces paragraphes dûment titrés, sauf pour deux d'entre eux, mis entre crochets & ajoutés puisqu'ils figurent dans l'ouvrage et non dans la Table (143):

Introduction 91

  1. L'idée de Spinoza 92
  2. Le cas de la Chine 96
  3. Comment s'est faite l'intégration chinoise 98
  4. Un moment fondateur 100
  5. Traits durables 102
  6. La conception du pouvoir 105
  7. Les deux sphères 108
  8. Le stratégique à la place du politique 114
  9. Propositions générales 117
  10. La Chine à l'époque contemporaine 118
  11. La confusion présente 122
  12. [La première perspective] 123
  13. [Le problème du pouvoir] 125
  14. Le problème de la culture 128
  15. La deuxième perspective 133
  16. Remarques finales 137

La numérotation des paragraphes et la pagination sont des ajouts personnels.


1. L'idée de Spinoza

 J F Billeter extrait un passage du 17e chapitre du Traité théologico-politique. Le publication de 2012 du 3e tome des oeuvres complètes de Spinoza aux Presses Universitaires de France présente ainsi le chapitre, dans la traduction de Jacqueline Lagrée & Pierre-François Moreau: « On montre que personne ne peut tout transférer au Souverain et que cela n'est pas nécessaire. De la République des Hébreux, ce qu'elle fut du vivant de Moïse et après sa mort, avant l'établissement des rois; de son excelles; et des causes, enfin, pour lesquelles une république instituée par Dieu put périr et, tant qu'elle existait demeurer presque toujours sujette aux séditions »

Le passage sélectionné par J F Billeter, il le traduit ainsi (je ne dispose pas – encore ? – de l'ouvrage cité ci-dessus): « Dira-t-on que [leurs malheurs] vinrent de leur indocilité ? – Argument puéril, car pourquoi cette nation-là aurait-elle été plus indocile que les autres ? De par la nature ? Mais la nature ne crée pas les peuples, elle ne crée que des individus [naturels]. Ces individus [naturels] se distinguent ensuite par la diversité des langues, des lois et des moeurs reçues, et par elles seulement. Et c'est pas ces deux choses seulement: les lois et les moeurs, que chaque peuple acquiert des qualités particulières, une manière d'être spécifique et des idées qui lui sont propres. »

Les lois, les moeurs, autrement dit la constitution politique et sociale propre à un peuple, déterminent

  • ses idées,
  • ses manières d'être,
  • ses qualités particulières.

« [L']audace [de Spinoza] est d'en faire la démonstration dans l'Ancien testament même. » 94

En adossant son raisonnement sur ce passage, J. F. Billeter déploie alors l'histoire chinoise sous nos yeux en nous la balisant autour de deux évènements majeurs, dont le premier a eu lieu il y a trois mille ans. Cette épure est enrichissante & offre une clé de décodage compréhensible pour nous.

Se servir d'une matrice de compréhension propre à Spinoza pour y dérouler un temps long (3000 ans !) de l'histoire chinoise sous nos yeux, voilà bien une idée apte à séduire sur Nulle Part étant donné l'intérêt que constituent ces deux philosophes pour ce soi-ci. Cette tapisserie étalée s'esquisse dans un résumé final: « J'ai esquissé une interprétation de l'histoire chinoise comparable à celle que Spinoza a donnée de l'histoire des Hébreux », d'où ressortent quelques propos généraux:

La Chine a eu pour principe la transcendance du pouvoir dont le premier corrolaire que

  1. la seule manière de limiter [la portée d']un conflit est par la domination;
  2. Corollaire 2= « Tout rapport social, même le plus intime, ne peut être que hiérarchique ou stratégique. »

Irions-nous, muni·s de ces quatre concepts, à travers les actes posés journellement par la Chine, mieux équipé·s d'une grille de lecture plus éclairante ? Il est tentant d'en vouloir tester pour soi l'universalité en tout cas.


  • Le cas de la Chine 96

« La Chine ... est unique en ce qu'elle s'est donné très tôt, vers l'an mille avant notre ère, une unité qu'elle a de façon continue renforcée jusqu'à aujourd'hui. ... Un État ne peut naître & se développer que si émergent des hommes capables de le diriger et de l'administrer, de saisir dans leur complexité les tâches qu'il impose et de les remplir, ce qui exiger des formes nouvelles de maitrise intellectuelle et de maitrise de soi. »

  • Comment s'est faite l'intégration chinoise 98

Deux moments décisifs: « ce sont la création de la royauté des Tcheau (Zhou) quelques décennies avant l'an mille avant notre ère et, environ huit cents ans plus tard, la création de l'empire par Ts'in Cheun-houang (Qin Shiuang) en [-]221.

  • Un moment fondateur 100

Ce paragraphe s'attarde au premier des deux moments nommés ci-dessus en insistant sur la non ambigüité de l'ordre de préséance qui découle de règles inspirées par les relations que le roi entretenait avec ses alliés en relations familiales: « ils étaient tous frères, les rapports d'aînesse entre ces frères seraient des rapports hiérarchiques et le roi en tant qu'aîné qurait le pouvoir sur ses frères. On ne peut mieux faire pour assurer la prééminence du roi et la cohésion du groupe. »

  • Traits durables 102

Pour assurer mieux encore la cohésion de l'aristocratie, les fondateurs des Tcheau instituèrent un culte des ancêtres d'un genre nouveau, formé d'un ensemble de petits et de grands rites, réunissant des collèges plus ou moins étendu selon la dignité de l'ancêtre évoqué. » Cela faisait des aînés des prêtres. ... « Il n'y a jamais eu de véritable clergé en Chine... Il y a certes eu des prêtres mais c'étaient des spécialistes du rituels... ils ne se sont jamais constitués en corps séparé ni substitués à l'autorité des aînés. »

  • La conception du pouvoir 105

est ritualiste. « Le pouvoir du roi n'était soumis à aucune transcendance, divine ou autre. Quand il était amené à intervenir ainsi, il n'est pas trop fort de dire que soin pouvoir était la transcendance. »

  • Les deux sphères 108

La sphère supérieure a représenté l'universel et la sphère inférieure le particulier.  « L'ensemble des populations soumises ... étaient libres de vivre comme elles l'entendaient à la condition de rester soumises. » « Lorsqu'ils ont échoué et qu'une dynastie s'est effondrée, l'issue de la guerre qui s'en est suivie a toujours été la reconstitution d'un pouvoir de type ancien. LE RÉGIME ACTUEL NE FAIT PAS EXCEPTION. »

  • Le stratégique à la place du politique 114

... en Chine, le pouvoir n'a pas été jusqu'ici de nature politique, mais de nature stratégique. ... Dans l'idée chinoise, le but de la stratégie n'est pas d'anéantir l'ennemi ou de le mettre hors d'état d'agir, mais d'établir ou

    • de maintenir sur lui un ascendant,
    • de contrôler son activité,
    • d'exercer sur lui une domination mouvante et si possible insensible, qui coûte le moindre effort et rende la violence inutile. »

 La stratégie  a pour objet premier « la domination d'un pouvoir unique sur une réalité multiple et instable. »

  • Propositions générales 117

 En Chine, les pouvoirs législatifs, judiciaires etc. ne sont pas séparés; « ... le principe de la transcendance du pouvoir a pour corolaire que

    • le conflit ne peut être limité que par la domination,
    • tout rapport social, même le plus intime, ne peut être que hiérarchique ou stratégique. »
  • La Chine à l'époque contemporaine 118

« Au tournant du [20e] siècle, la Chine perdit la maitrise de son destin. ... À la mort de Mao en 1976, la Chine était une nation sinistrée. ... L'essor économique n'a pas mis la Chine sur la voie d'une modernisation de ses moeurs politiques et de ses institutions. »

  • La confusion présente 122

Pour ne pas céder à l'indifférence ou au cynisme, J. F. Billeter propose de procéder en deux temps:

  • La première perspective 123

modernisatrice, « celle d'une Chine se libérant peu à peu de son passé d'arriération, d'arbitraire et de despotisme pour accéder à une modernité définie par la développement d'un véritable État du droit, de la démocratie, de l'éducation, du bien-être, d'une économie performante etc. »

    •  Le problème du pouvoir 125
    • Le problème de la culture 128

« Le régime actuel ... fonde sa légitimité sur le nationalisme chinois, mais cela le met en difficulté face aux autres peuples de l'ancien empire ... : Tibet, Asie centrale et Mongolie intérieure. »

  • La deuxième perspective 133

« Le régime favorise exclusivement la progression de la raison économique. Son but est de convertir le pouvoir qu'il détient en un domination économique moderne. ... Les réformateurs les plus audacieux ... rêvent d'une Chine où, comme ailleurs, le pouvoir d'une oligarchie économique sera occulté par un spectacle politique. »

  • Remarques finales 137

Le progrès passe désormais par la maitrise de la réaction en chaine.

 

 

 

 

 

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