Pour L. D.

Trop souvent, les éditeurs de sciences humaines se contentent d'appareiller les ouvrages qu'ils publient d'un sommaire (voir aussi Poétique de la Terre, publié par les éditions Belin), alors qu'une table des matières détaillée permet[trait] à la lecture de s'approprier le sens de manière experte, comme cela se dit dans une expression documentée par la linguistique pragmatique chère à François Richaudeau: la lecture experte.

Une autre habitude de ces éditeurs fait fluctuer l'usage de l'emplacement du sommaire: en anglais, il figure traditionnellement en tête d'ouvrage tandis que la tradition française le situe en fin. D'où cette hétérogénéité vécue personnellement de ne jamais savoir où chercher le sommaire dans un ouvrage traduit !


La haute teneur des intertitres en mots-clés pertinents densifie de façon intense la table des matières en indiquant la pertinence (dans ce cas-ci) de l'approche très constituée qu'adopte l'auteur pour rendre compte de façon extrêmement novatrice de la forêt, cet organisme vivant.

Cet essai n'est pas une critique; il n'en est pas moins une observation pertinente tenant à un bilinguisme  personnel ainsi qu'à la pratique linguistique et pédagogique de la linguistique pragmatique. Elles instituent deux des usages chers sur Nulle Part, parmi d'autres... dont il fut usé dans une carrière enseignante qui s'éloigne dans le temps.


Voici donc la table des matières de l'ouvrage...

ch.
/ page
Titre  Intertitres
 11 Préface La forêt des signes
 (P. Descola)
 
 19 Introduction  Runa puma  
 53 Ch I  Les touts ouverts  56 Dans et du monde
 lecture pressée 38-40  60 Des signes vivants
     63 Absences
     68 Provincialiser le langage
     74 Le sentiment de séparation radicale
     82 De la nouveauté issue de la continuité
     92 Réels émergents
     98 Croître
     102 Les touts ouverts
 107 Ch II  La pensée vivante  110 Des sois non humains
 lecture pressée  40-41  115 La vie et la pensée
     116 Une écologie des sois
     120 Densité sémiotique
     122 Relationnalité
     125 Savoir sans savoir
     130 Enchantement
     133 Animisme
     137 Perspectivisme
     139 Le sentiment de penser
     142 La pensée vivante
 145 Ch III  La cécité de l'âme  147 La vie au-delà de la peau
 lecture pressée 41-43  157 Finaliser la mort
     160 Séité distribuée
     162 Voir au-delà de soi-même
     164 Prédation
     172 Défamiliariser l'humain
     175 La cécité de l'âme
 179 Ch IV  Pidgins trans-espèces  181 Trop humain
 lecture pressée 43-45  184 Entremêlements de chiens et d'humains
     191 Rêver
     196 Langage inter-espèces
     198 Les contraintes de la forme
     201 L'énigme
     202 Pidgins trans-espèces
205 Ch V  La fluide efficacité de la forme  214 Le caoutchouc
lecture pressée  45-49  221 Formes émergentes
     224 Les maîtres de la forêt
     227 La hiérarchie sémiotique
     231 Le jeu de la forme
     236 Cadrage à un niveau supérieur
     242 Les détritus de l'histoire
     244 La fluide efficacité de la forme
251 Ch VI  Le futur vivant (et l'impondérable
poids des morts)
 257 Toujours déjà Runa
 lecture pressée  49-51  261 Noms
     269 Être in futuro
     272 L'au-delà
     274 L'impondérable poids des morts
     277 Le tu du soi
     281 Le futur vivant
 289 Épilogue  Au-delà  
 299 Notes  Notes de l'introduction  
 300  300 Notes du chapitre I  
 302  302 Notes du chapitre II  
 304 304 Notes du chapitre III  
 305 305 Notes du chapitre IV  
 308 308 Notes du chapitre V  
 311 311 Notes du chapitre VI  
 313  Bibliographie  
 325  Remerciements  
 329 - 334  Index  

 

Quels premiers enseignements la « lecture experte » permet-elle de tirer en parcourant cette table des matières ?

1/ Elle va se précipiter sur l'introduction & la fin de chaque chapitre puisqu'il apparaît que l'auteur est lui-même conscient de l'expertise potentielle de notre lecture et nous rend capables de le devenir. Nous avons clairement affaire en la personne d'E. Kohn à un auteur expert (non de son domaine - ce qu'il est peut-être aussi, mais, là, ce n'est pas du ressort de l'expertise linguistique d'en décider): il se révèle lui-même expert dans sa propre écriture. Il n'aurait pas pris le soin de semer tant de cailloux pertinents dès la table des matières, s'il ne l'était pas.

Son traducteur, G. Delaplace, lui est (probablement - je n'ai pas accès au texte américain) fidèle. L'abondance de ses notes de traduction révèle en tout cas un traducteur très conscient de sa responsabilité à l'égard de ses lecteurs & lectrices francophones.


2/ Les notes auraient pu, de la part de l'éditeur, bénéficier d'un titre courant plus complet: celui qui est présent s'intitule NOTES. Il apparaît ici  qu'il aurait été utile de nous indiquer dans le titre courant le chapitre puisqu'évidemment le rejet des notes en fin d'ouvrage est un choix (que je ne partage pas forcément à titre personnel, mais là n'est pas le propos; j'en comprends la raison d'être).


3/ La densité en mots-clés des intertitres (3e colonne, non présente dans le sommaire de l'ouvrage en français) est porteuse de sens. Elle permet de se rendre compte de l'univers mental et conceptuel dans lequel nous pénétrons en accomplissant l'acte d'achat puis de lecture d'un ouvrage.


4/ La table des matières, telle que l'a conçue l'auteur, offre un meilleur reflet du contenu que le sommaire livré par l'éditeur; elle lui rend un hommage appuyé, en quelque sorte.


5/ Notons au passage, dans la très longue introduction de l'ouvrage, le silence abyssal en intertitres (19-51). Une lecture pressée (ce que les anglophones nomment executive summary), mais aussi une lecture par écrêmage, cassant la lecture linéaire de la première à la dernière page, tirera grand profit des pages 38 à 51: l'auteur s'y emploie à résumer les apports essentiels de chacun de ses chapitres. Elles sont un modèle pour tout.e auteur.e qui tiendrait à devenir auteur.e expert.e... (clin d'oeil perso !)

C'est la raison pour laquelle les pages de ces résumés de chapitre figurant dans l'introduction sont mentionnées en rouge en dessous de chacun des titres de chapitres dans la table des matières ci-dessus.


6/ La lecture par écrêmage telle qu'elle peut se pratiquer s'enfoncera donc progressivement dans la forêt des signes contenus dans Comment pensent les forêts en suivant ces étapes-ci par cercles concentriques:

- La préface, l'oeil extérieur de Philippe Descola est précieux,

- L'introduction générale,

- L'épilogue,

- L'introduction et les paragraphes suivant le dernier intertitre de chaque chapitre, en s'appuyant sur l'executive summary du point 5,

- Et puis, muni de toutes ces infos, vous pourriez ensuite seulement vous concentrer sur la lecture du chapitre qui paraît le plus proche de vos intérêts du moment. Car l'ouvrage, bellement mis en page par les éditions Zones sensibles, vaut déplacement approfondi, approfondissements habités, réflexions abyssales... Vous l'aurez compris, seul un ouvrage de qualité peut justifier un essai formel éclairé par cette longue pratique Richaudienne.

Puisse une pratique éditoriale novatrice en tirer l'un ou l'autre profit... à l'occasion. (Ou pas...)


Comment pensent les forêts est l'oeuvrage d'une évidente longue pratique de son auteur. C'est grâce à ce genre d'attelage que l'esprit se frotte à des approches enrichissantes suceptibles de nourrir ses propres réflexions, voire même ses pratiques personnelles d'une forêt locale, comme celle que parcourait inlassablement le poète F. Jacqmin à Plainevaux (Neupré).


Mise à jour 12 08 19

Pierre Macherey, un philosophe spécialiste de Spinoza, présente de façon analytique une très longue recension de cet ouvrage (35.267 mots !). Le point de vue qu'il nous en offre débouche sur quelques conclusions avec lesquelles il n'est pas obligatoire d'adhérer complètement pour apprécier la précision avec laquelle il prend soin de rendre hommage au contenu de l'ouvrage en le présentant de façon analytique. Son point de vue est bien entendu intéressant comme le sont les essais qu'il a consacrés à Spinoza. Ceux-ci sont principalement édités par les Presses Universitaires de France. Il a par exemple consacré cinq ouvrages à l'Éthique, un par partie. Cette façon analytique de travailler est précieuse pour qui souhaite acquérir une connaissance approfondie d'une oeuvre majeure comme celle-là.

Quand il revisite un ouvrage lu, il offre l'occasion d'en reconsidérer le sens, d'en contextualiser de maitresse façon, argumentée & apparemment sereine. C'est le cas dans la controverse entre Jean François Billeter & François Jullien. P. Macherey série l'argumentaire, le désamorce pour donner partiellement raison à J F Billeter sur deux des trois arguments que ce dernier avance tandis que la fragilité du troisième est posément expliquée. Il actualise aussi l'état de la question en liant ce premier ouvrage à une répose de F. Jullien (Chemin faisant) & une réponse sur le fond à ce deuxième ouvrage par J F Billeter.

P. Macherey étoffe notre appréhension de la philosophie en la nuançant de façon analytique. Le blog qu'il anime depuis peu avant son éméritat sur Hypothèses s'intitule: La philosophie au sens large. Il offre des heures d'approfondissements de nos connaissances philosophiques.


... Carte blanche avait été laissée à l'éditeur, ce 27 septembre 2017, par la Librairie Entre-Temps (Barricade, Liège). Il y a eu l'occasion de déployer son approche, très éloignée des préoccupations de lisibilité exprimées ci-dessus.


Essai mis en ligne le 13 9 17, mis à jour le 16 2 19 & le 12 08 19.


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