Botanique philosophique. Philosophie botanique. A plant lover turned philosopher. Each philosopher finds in their own life matter of thinking. E. Coccia combines an immersion in the horticultural world during his secondary education with a university training as a philosopher. The result emerges as a convincing synthesis.

Derrière un titre anodin se profile un sous-titre qui lui donne son ampleur, son originalité: une métaphysique du mélange.

L'insistance de l'auteur sur le mélange prend la forme de symbiose et de symbiogenèse. Si on observe la photosynthèse, « la relation fondamentale entre vie & monde est beaucoup plus complexe que celle que nous imaginons à travers le concept d'adaptation. ... Le monde s'ouvre en eux [les organismes] comme l'espace métaphysique de la forme la plus radicale du mélange, celle qui permet la coexistence de l'incompossible, un laboratoire alchimique dans lequel tout semble pouvoir changer de nature, passer de l'organique à l'inorganique. L'immersion rend possibles la symbiose et la symbiogenèse. » 67 [incompossible = incapable de vie commune; incompatible, inconsistant, source traduite]

Dès la théorie de la feuille, l'auteur réintègre la durée dans notre espace de vie, la surface terrestre, en insistant sur l'immersion dans une fluidité car « la matière... est ontologiqument unitaire & homogène. ... Cette unité consiste en sa nature fluide. » 46
Toute matière est fluide, quel que soit son état: solide, liquide ou gazeux. Elle « prolonge ses formes dans une image de soi sous la forme d'une perception, sous la forme d'une continuité physique. » 46

L'immersion des corps dans un fluide, quel que soit son état, est une remarque de bon sens, mais dite dans ce contexte philosophico-botanique, elle élargit les perspectives. Il approche le monde comme immersion. Le monde se compose de flux qui nous pénètre et que nous pénétrons, de vagues d'intensité variable en mouvement perpétuel. 48


E. Coccia considère l'approche du monde animal par Uexküll comme idéaliste: « Il n'est... pas possible d'interpréter la relation des plantes au monde en passant par le modèle, profondément idéaliste, conçu par le naturaliste allemand Jakob von Uexküll. » 57 Ce modèle est insuffisant au moins pour deux raisons, nous dit-il:
1. il conçoit la relation au monde sous la forme de la cognition et de l'action, l'accès au monde ne se donnerait que par ces deux canaux, comme si le reste de la vie d'un individu était renfermé en lui-même, et pas, lui aussi, jeté dans le monde, exposé à lui, obligé de s'en nourrir et de se construire ç partir de ses éléments.
2. Ensuite, ... le modèle d'Uexküll prévoit que l'accès au monde soit de nature organique, c'est-à-dire qu'il ait lieu dans un organe. ... Les plantes non seulement n'agissent et ne perçoivent pas - du moins, de manière organique, c'est-à-dire à partir des parties du corps spécifiquement consacrées à ce but - mais elles s'exposent au monde dans le sein d'un organe spécifique. C'est avec la totalité de leur corps ... que les plantes s'ouvrent au monde et se fondent en lui. » 59

Longue citation pour permettre de saisir la spécificité de sa démarche et indiquer les limites qu'E. Coccia trouve dans l'ouvrage d'Uexküll. A. Berque, qui cite abondamment Uexküll, apparaît également dans cet ouvrage en tant que traducteur de l'oeuvre maîtresse du philosophe japonais Watsuji ; E. Coccia présente comme le philosophe comme un géographe métaphysique. Intéressant point de vue.


« Chaque fois que nous mangeons, nous essayons de rattraper notre incapacité à absorber immédiatement cette énergie que les plantes exploitent. Notre corps n'est que l'archive de ce que le Soleil offre à la Terre. » 119, in Théorie de la racine.

Cet ouvrage se savoure. Une synthèse innovante des apports de la philosophie occidentale à la botanique. Une lecture philosophique du végétal comme centralité à la vie sur notre planète.
L'auteur passe en revue les parties de la plante pour en proposer dans de courts chapitres un traité adossé à une bibliographie impressionnante, annotée, très précise, voire précieuse.

Cette approche ouvre à une lecture paradigmatique du vivant. L'apport principal de ce livre tient à la symbiose assez réussie entre botanique, et les sciences qui la nourrissent, et philosophie occidentale.

L'auteur a le mérite de centrer ses trois théories autour du souffle, se rapprochant par là de l'extrême-orient. Elles lui balisent un possible approfondissement dans cette direction.

Réunir philosophie et botanique, une des originalités de cette Vie des plantes.


Une plongée dans les philosophies de l'extrême-orient indien et asiatique (Chine, Japon) confirmerait la présence du ts'i, déjà chez Tchouang-tseu au XIIIe siècle avant notre ère ! Voir l'apport essentiel de Jean François Billeter sur ce sujet passionnant aussi. Et la traduction de Jean Lévi du Tchouang-tseu. L'auteur, très occidental dans son approche du passé à la fois philosophique et botanique, y trouverait de quoi asseoir encore mieux l'universalité qu'il donne à son propos à l'intérieur d'un monde fluide qu'il définit si bien & de façon novatrice. L'Homo orientalis a intégré ces apports vitaux que sont les plantes à définir sa place au sein du vivant en construisant des approches fermement ancrées dans des « théories» similaires. On retrouve par exemple dans la pratique du haïku japonais les saisons qui rythment nos vies, qu'elles soient végétales ou animales...

Les hyperliens dont j'ai parsemé cet essai permettent d'apprécier comment ce livre s'intègre en enrichissant encore les lectures critiques qui s'essaient sur Nulle Part.


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