L'appréciation favorable du Journal Littéraire de Paul Léautaud et l'avis exprimé dans Pourquoi je ne lirai pas... ne me semblent pas antinomiques.
L’émotion contemporaine mise en paravent, en bouclier presque, trop souvent sous le couvert du mot roman, là où journal intime siérait. En fait, c’est parce qu’ils ne s’assument pas journal intime que l'idée même de ces textes d’aujourd'hui est si déplaisante.
La vérité de l’être y semble être absente. Dans ce journal au long cours, Paul Léautaud offre une écriture ferme, jamais éplorée, même quand il s'étend sur ses amours malheureuses et sa pauvreté. L’intérêt de son Journal, qui mêle le littéraire à l'intime, tient certainement à l’histoire littéraire de première main qu'il nous livre ainsi. Ces portraits à n’en plus finir de plumes fréquentées, lues, entendues au Mercure, critiquées, croisées., oubliées, absentes.
Il n'est pas nécessaire d'être d'accord avec lui sur tout, il suffit de se laisser porter par sa plume sûre et sans chichis. Ces pages choisies par Pascal Pia ont la saveur infiniment relevée que prend un voyage dans un train d'autrefois.
DU STYLE
Le surveiller, être conscient, toujours. Ne pas faire de phrases faciles, fades. Au contraire, des phrases dures, sèches, même rudes. Une harmonie se dégage aussi de ces phrases.
Simplifier sans cesse. Le moins possible d’épithètes. Une phrase tendre et chantante par-ci par-là, comme un sourire voilé, atténuera. 4.9.1898
La phrase doit être entière, d’une seule ligne, je veux dire non coupée par des point et virgule*, ponctuation qui ne correspond à rien : autant commencer une autre phrase. S’appliquer aux phrases longues, qui permettent seules l’harmonie. Cela, d’ailleurs, m’est plutôt aisé. 2.7.1899
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Qu'on est long avant d'oser être soi. Ce n'est pas qu'on soit soi très tard, non, c'est bien ce que je dis, il faut beaucoup de temps avant de se décider à se montrer tel qu'on est... 5.1.1904
On rit mal des autres, quand on ne sait pas d’abord rire de soi-même. 19.9.1905
Je lisais il y a quelques jours un article sur les manies de certains écrivains pour travailler… Cela m’a amené à penser à mon meilleur excitant pour écrire… c’est encore de me relire, du moins les quelques passages que je ne trouve pas trop mal dans ce que j’ai écrit. 24.9.1906
S’il est vrai qu’on n’est pas un grand homme pour son domestique, on court encore pire avec sa maîtresse. 22.2.1924
J’ai deux choses qui me sauvent toujours de tout, ma chère: c’est l’amour de la solitude, et le plaisir d’écrire. Contre cela, rien ne prévaut, ni plaisirs ni chagrins. 4.2.1925.
Ouverture d’une souscription pour offrir à Duhamel son épée d’académicien… Comment peut-on ne pas préférer la simplicité, lla discrétion ?18.1.1936 ... je ne souscris pas. Je suis un homme pacifique, je n’offre pas d’épée. 21.1.1936.
La littérature est peut-être toute dans ceci: le don d'évocation. 1.2.1944
C’est dans ma nature: je n’ai pas le goût du châtiment, même si je suis victime. 21.11. 1945
Qu’est ce que la littérature ? Qu’est-ce qu’écrire ? qu’il s’agisse de vers, de prose. Une maladie, une folie, une divagation, un délire – sans compter une prétention !!! Un homme sain, à l’esprit sain, solidement posé, solide dans sa vie, n’écrit pas, ne penserait même pas à écrire. À y regarder d’encore plus près, la littérature, écrire, sont de purs enfantillages. Il n’y a qu’un genre de vie humaine qui se tienne, s’explique, se justifie, vaille et rime à quelque chose: la vie paysanne. 11.2.1946
Ma patrie, c'est la langue française. 18.11.1948