B. Peeters, décidément biographe, opère une réécriture intelligente de sa première biographie de Valéry, qui remonte à 1989. Il le fait à la lumière de sa maturité venue, d’une plus grande connaissance encore de l’homme et de l’œuvre.
Le ton est devenu reconnaissable, le point de vue sur Valéry cohérent et puissant. Tout écrivain rêverait de pareil biographe.
Hitchcock, Hergé, Derrida, Valéry. L’éclectisme est de mise. Pas forcément des sujets hautement sympathiques, d’ailleurs.
B. Peeters se faisait interrogatif avec le premier titre: « Paul Valéry, une vie d’écrivain ? »
Le deuxième s’affirme: « Valéry, Tenter de vivre. »
Entre les deux, il approfondit son amour de la plume valéryenne. Les deux titres indiquent la progression du biographe dans sa compréhension profonde de l’œuvre et de l’homme. Vingt-cinq ans séparent la question de l’affirmation, presque une vie en commun. La plume biographe s'aiguise davantage, sûre des effets.
Ce livre bissextile compte 366 pages donc, auxquelles s’adjoignent trente pages de notes. Cette réédition est retouchée, augmentée, parfois dégraissée.
Je suis davantage fasciné par l’art du biographe non autorisé que par les atermoiements valéryens, chaque lecture progresse dans le déroulé de cette vie de femmes.
B. Peeters opère une analyse distanciée mais très informée. Que Paul fut au moins conservateur au début de sa vie adulte, par ce côté antidreyfusard; Mallarméen aussi, ce père perdu une seconde fois; le biographe se fait aussi distant que je le suis face à ses errances.
P. Valéry jamais n’a pu organiser les notes de ses très nombreux cahiers en une suite intelligible qui aurait pu tenir lieu de philosophie valéryenne. Des bonheurs de plume en prose.

L’amitié de jeunesse, pour autant que ces deux-là aient jamais été jeunes, avec Paul Léautaud me ravit.
LÉAUTAUD, l’autre PAUL, raconte dans son Journal littéraire le deuxième dîner chez Valéry où il rencontre sa famille mais également Odilon Redon et la sienne: « La belle sœur de Valéry, Mlle Paule, est la seule personne avec qui je sens que je serais à l’aise. »31


« En sortant, sitôt sur le trottoir, et la porte tirée, j’ai poussé le tout semblable: Ouf ! que la première fois. » 31


En page 57 une confirmation: « Remplacement de Valéry auprès de M. Lebey du 24 septembre compris au 11 octobre compris. » 58 « Pendant mon remplacement de Valéry, re-senti en moi mon désir, mon goût pour le luxe, mon horreur de la pauvreté. »
Léautaud qualifie des vers ressassés de P. Valéry, « artisteries sans beaucoup de signification ». 316 Il y a comme toujours une finesse d’observation…


1915 : « Valéry est encore à corriger ses vers d’autrefois. Il s’occupe à les corriger, à les améliorer. .. Presque 20 ans ont passé sans presque l’avoir changé. » Un long paragraphe fort assassin sur la poésie de P. Valéry (351 23.7.1922): « Voilà longtemps que je veux noter cela. C’est une chose bien comique que l’apothéose de P. Valéry depuis un an ou deux. […] À peine un critique clairvoyant & de bonne santé littéraire ose-t-il de temps en temps ce que vaut en réalité la poésie de P. Valéry, pour commencer tout l’opposé de la poésie, froide et stérile, pur jeu de syllabes, obscure comme à plaisir et volontairement, et assez semblable à un cristal bien taillé & vide. Mon pauvre ami Valéry en est resté au même point qu’il était en 1897 & 1898 quand nous flânions ensemble. … Une jolie bouffonnerie. »


424 19.11.1925 « Il paraît que Valéry a été élu tantôt à l’Académie. La bouffonnerie continue. C’est le couronnement. »
425 « Valéry succède à France. Comment va-t-il s’y prendre pour faire son éloge, lui qui le tenait en tel mépris au temps que nous passions nos soirées ensemble ? »


« J’ai recherché ce soir mon exemplaire de la Jeune Parque pour revoir cela. Quelle plaisanterie ! Quel bel article j’écrirais sur le Valéry que j’ai connu, ses opinions, sans antipathies littéraires, à côté du Valéry, aujourd’hui académicien. »


… « Sommes-nous brouillés, Valéry et moi ? Comment serais-je en face de lui, et comment serait-il lui-même en face de moi, si nous nous rencontrions quelque part. Moi, je me connais, je m’en irais, timidité, embarras réunis… » Cela se termine par: « Au fond, c’est de moi qu’est venue la séparation, s’il faut employer ce mot. Quel drôle de caractère qu’est le mien. »


La vision qu'a Léautaud de Valéry est encore du Léautaud, évidemment. Pourtant, j'ai l'intuition qu'il ne doit pas être bien loin de la réalité.

Quelques citations valéryennes: B. Peeters nous guide vers un certain nombre de ces cahiers appartenant au fonds Paul Valéry puisqu'ils sont désormais consultables sur Gallica. L'écriture manuscrite de P. Valéry est d'une lisibilité exemplaire. Le suivre au quotidien est un plaisir que distillent les jours. Des notations qui interpellent, un aphorisme de çi, de là.


J’ai la sensation que ma vie est achevée, c’est-à-dire que je ne vois rien à présent qui demande un demain. 30 mai1945. Il décède le 20 juillet.


Croire, c’est se suspendre à ce que l’on soutient. Paul Valéry, Cahier 106, 1924


La perfection est une défense. Mettre la perfection entre soi même et l’autre. PV cahier 103


La foi est le mépris des faits observables par les faits inobservables. PV cahier 103


Les mauvais moments sont faits pour apprendre; et pour percevoir aussi certaines choses que les autres ne montrent pas. Véritablement et absolument mauvais sont les moments où il n’y a rien à saisir, où l’on ne peut rien saisir. Cahier 102 p. 9


Hélas la vertu ne suffit à rien. Cahier 102 p. 9


La rime oblige quelque peu à ne pas sauter de ligne donc agit sur la mémoire et le mouvement de la mémoire. Cahier 102 p. 22


L’amour est la fabrication d’une âme par un corps (ou par deux). Cahier 102 p. 23


Toute littérature = [est] une théorie de l’attention, = une théorie du langage. Cahier 102 p. 36


Le réel est dépourvu de toute signification et capable de les assumer toutes. Cahier 102 p. 36


Perdre la vie, c’est perdre l’avenir. N’es-tu pasl’avenir de tous les souvenirs qui sont en toi, l’avenir d’un passé ? Cahier 102 p. 39


Les croyants redoutent d’attribuer au dieu l’arbitraire absolu, reculent devant cette nécessité, tempèrent la toutepuissance en lui imposant une sorte de moralité. Dieu doit aux croyants d’être juste infiniment et bon. C’est-à-dire qu’il doit, sous peine de contredire à sa définition, dans ses rapports avec les hommes leur apparaître toujours justifiable et aimable, etmême toujours trop bon. Cahier 102 p. 45


Penser, c’est recevoir de soi-même des signes. Cahier 102 p. 47


Il y a des sucs pour tous les instincts et ces sucssensibilisent, rendent le désir fort et suivi d’effet. Cahier 102 p. 49


 

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