Il s’agit d’accompagner la lecture de l'ouvrage récemment paru (novembre 2014) d’un philosophe français, apparemment fort friand de L. Wittgenstein.
Il s’intitule le parler de soi & est écrit par Vincent Descombes. En poche inédit chez Folio Essais. Cela fait quelque temps que j’approfondis la sortie du moi pour parcourir le soi oriental et Berquien. Un ouvrage neuf sur le sujet est dès lors le bienvenu.
J’ai choisi de vous livrer mes notes de lecture à mesure que je progresse, étape par étape.
Première étape, Début mai 2015
Cette aventure philosophique commence ici: http://www.laviedesidees.fr/Pourquoi-moi.html. J’avais téléchargé & annoté cet article intéressant de quelques commentaires:
- Parler de soi en omettant les philosophies orientales, une impuissance probable à cerner le soi dans toutes ses dimensions. C’est aventureux de vous livrer cela… Pourtant, j’ai pris soin d’assurer mes arrières: aucun philosophe japonais, chinois, français japonisant ou sinophile dans l’index des noms. J’amenderai si besoin est dans une autre couleur…
- L’auteure de l’article présente l’auteur de l’ouvrage comme « l’un des plus grands philosophes de notre temps. »
Note: Oufti ! Rien que ça… Et je n’en ai rien su jusqu’à présent ? Il est son patron de thèse ? Ou bien... elle a raison ? Un large tour sur la toile me confirmera la deuxième voie comme la plus probable. En tout cas, il ne me souvient pas qu'il ait été mentionné par mes auteurs en philo. Une plume vraiment neuve donc.
Intermède
L’ouvrage est de stock dans la troisième librairie, la plus pacifique à Liège. Rien n’urgeait, donc j’ai pris le temps d’entrer en librairie en passant devant, à l’occasion d’une autre quête. L’ouvrage est en main le 21.
Deuxième étape, samedi 23 05 15
La lecture s’entame ce samedi matin, vers 9h, dans la grisaille douce, accoudé au bonheur du jour, l'ouvrage posé sur l'écritoire.
Le chemin des foules irrigue les impasses.
Page 19: Mon impression à la lecture du long et beau compte-rendu dans La vie des idées se confirme: « Qu’est-ce que nous aurions perdu si nous avions perdu la première personne ? » se demande l'auteur. En passant en revue la tradition philosophique occidentale, il semble se priver, nous priver, d’un large panel de réponses qu’A. Berque a bien balisé dans Poétique de la terre. Il a consacré au moins deux sous-chapitres au sujet: §10: L'imposition du sujet au Japon (47-50) et §11: Les affres du sujet prédicat (50-53).
L’index de V. Descombes ignore A. Berque: il passe de Benvéniste, Émile à Berulle, Pierre de. La langue japonaise est une langue correspondant à sa question initiale. Elle a ignoré le sujet grammatical jusqu’au début du 20e siècle, et n’a évolué avec réticence que sous l’influence occidentale.
Cela étant (dé)posé, je suis libéré de cette sensation qu’il y manque de référents orientaux, et comprends mieux en quoi cet ouvrage se rapproche de L. Wittgenstein en me penchant avec grande attention sur la table analytique des matières (tadm) qui constitue une synthèse de la pensée Descombienne. Elle reprend la structure analytique de l’ouvrage qu’elle munit de phrases qui en synthétisent de façon adéquate la portée.
13h50, après une tonte…
Cette façon de faire a souvent cours dans des essais philosophiques. La tadm s’étend sur 11 pages. Trente pages de notes, qui parcourent la bibliographie chemin faisant, insistent sur la filiation avec L. Wittgenstein, le seul dans l’index des noms à comporter cinq lignes complètes de références à des pages. Il confirme donc l’intérêt majeur de L. Wittgenstein aux yeux de V. Descombes.
Le concept offert par égoïsme a été pris en charge jusqu’au milieu du 18e siècle par amour-propre.
Page 23: On dit désormais « le moi » là où des philosophes plus anciens auraient dit « l’âme ». Or comme, dans mon propre système de pensée, le dualisme est inopérant, l’âme n’y existe pas comme entité séparée du corps, dont le moi métaphysique né comme substitution de l’âme au 18e n’existe pas non plus. L’auteur mentionne le terme dualisme pour la première fois page 25.
Page 33: Ce philosophe, V. Descombes, parle clair. Et il complète bien la kyrielle de concepts abordés dans ces ouvrages philosophiques déjà lus. C’est la première fois, en lisant un philosophe contemporain, que je ressens cette impression de comprendre un raisonnement serré et argumenté. Je n’en suis pas encore au stade de la connivence. Je ne le connais pas encore. J’ai dépassé celui du doute. Je me coule avec aisance dans les propositions faites à la page car elles s’enchaînent avec une rigueur qui sied.
16h35, après un coup de fil amical, café fumant...
Un encyclopédisme bienvenu en remontant à Port Royal fait de ces pages (34-41) une histoire de la philosophie pascalienne vue par le biais du soi, introduisant le terme d’égotisme.
L’amour-propre est attachement à soi. « La règle de Pascal ne dit pas ce que nous devons faire de l’égotisme des autres ». (47) « Les logiciens de Port-Royal condamnaient ‘cette mauvaise coutume de parler de soi, de s’occuper de soi, et de vouloir que les autres s’y occupent.’ »
Ce désir de reconnaissance fait partie de la socialisation et découle de ce souci de soi hérité de la tradition antique.
Troisième étape, dimanche 24 05 15, 9h15
Descartes semble restreindre son essence/existence au fait de penser: « car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais en même temps d'être ou d'exister. » (V.D., 53)
Il nie donc, me dis-je, toute méditation profonde. Et le sommeil ? Il reste « prisonnier d'une métaphysique de la substance. » Le mot prisonnier est fort. Notre auteur en appelle alors à Merleau-Ponty et Heidegger pour décrire cette « prison ».
J'apprends que R. Descartes écrivait aussi en latin, comme Spinoza. V. D. se réfère à l'original latin pour creuser son raisonnement. Suivent des pages lumineuses, serrées, offertes par différents philosophes qui explorent cette phrase latine. S'y voit la naissance du substantif, le moi « au sens métaphysique » (65). Bonheur de suivre ainsi un raisonnement qui s'insère dans l'histoire de la philosophie occidentale, qui m'émeut pourtant peu. Chacun sa vibration, n'est-ce pas. Le maillage conceptuel offert est sans failles; il fait progresser la lecture sans heurts. C'est plaisant à suivre. Les phrases s'enchaînent sans douleur apparente, sans jargons obscurs.
La page 78 semble conclure le passage avec un « Récapitulons » qui reprend sous forme condensée ce qu'il est utile de retenir. Et le dualisme qui sévit depuis la page 23, puis la 25, refait une apparition ici. La linguistique et la traduction du latin en français (pour René Descartes) et de l'allemand en français pour E. Kant sont au coeur de la démarche philosophique. É. Littré se fait référent solide.
Page 87, l'air de rien, cela fait une heure quart que je lis. Pause.
Page 95: 13h30, ces atermoiements pascaliens sont fort éloignés de ma sensibilité philosophique. Je suspends la lecture.
14h45, jardin. Est-ce parce qu'un texte est lisible, compréhensible qu'il en devient intéressant ? Non, hein. La logique rigoureuse qui se déploie page après page est intéressante et poirtant me paraît à certains ressortir en creux. Cette approche philosophique du soi centrée sur l'occident chrétien me paraît souffrir de limites que d'autres lectures m'ont permis de franchir. Ces limites en deviennent gênantes à force de s'aveugler elle-même d'un universalisme qui n'en est plus un.
Page 149: J'ai parfois le sentiment d'assister de l'extérieur au développement d'un raisonnement serré appliqué à une évidence telle que, en filigrane, se profile un « Tout ça pour ça ! » qui en résume bien le ressenti. Finalement, cette impression devient tangible: il se lit de l'inutilisable pour mieux se comprendre soi, mieux parler de soi. La logique philosophique serrée mise en oeuvre ne fait peut-être pas partie du chemin que j'emprunte.
À rester ainsi hermétiquement cloisonné dans une tradition philosophique occidentale implicite, il semble que je passe à côté de richesses qu'une transversalité plus ouverte sur d'autres traditions pourrait offrir. Les raisonnements tenus sont parfois éclairants, honnêtes, cohérents, informés. Sans nul doute possible. But they're not my cup of tea. Je n'ai pas trouvé l'entrée par où me glisser pour en jouir.
Cette phrase-ci clôt un parler aussi de soi en écrivant sur le parler de soi.
Prochaines étapes remises sine die.