Linda Lê a conjugué la famille à tous les temps de la haine littéraire; avec la même inconvenante inconvenience à être né au plus près des aphorismes vinaigrés de Cioran et ses congénères en nihilisme. Cette lettre «à l’enfant que je n’aurai pas » a étendu le domaine de la lutte à l’inexistant. Comme s’il fallait s’en justifier.

Une longue réfutation des arguments de S., engendrés par sa propre fibre paternelle (l'adresse de la filature ?) au conditionnel passé première forme, et la relation d’un internement à St Anne, dûment pronostiqué par le même, servent de trame principale à cette lettre. Je n'en dévoile rien dans le dessein de vous la faire lire car son argumentaire très personnel par moments sait aussi prendre des atours plus universalistes, sans jamais tomber dans la philosophie autojustificative. Simplement ceci: le principe de réalité me semble être du côté de l'auteure... Et tous les couples encore sans enfant feraient bien de le lire, à mon avis, pour qu'ils en discutent sans visière entre eux. Cela éviterait beaucoup de gardes alternées...

Il est à souhaiter (pour elle !) que l’auteure désormais apaisée ne parte pas au hasard d’autres dérives de l’esprit vers l’enfant fantasmé à qui une réalité serait octroyée avec trop d’avidité.

D’une plume à la passion presque tendre, elle y a asséné l’autobiographie. Elle y a dit les raisons de son non-enfantement.

Elle n’a jamais choisi de mettre beaucoup de distance entre elle, ses lecteurs et l’hypnotique passion dans laquelle elle a trempé sa vie.

Le portrait de la mère vietnamienne en Big (brrr) Mother, qui n’a rien d’une big mama !, est saisissant d’une vérité que le lecteur soupçonne d’être plus qu’une trouvaille littéraire.

À chaque œuvre de Linda Lê, je suis marqué par son très grand art de la transposition en phrases habitées d’un souffle inextinguible par toute autre qu’elle. Une fois pris dans le rail, il est difficile d’y mettre une trop longue pause. Une courte nuit, tout au plus ! Non pas tant parce que l’intrigue serait exaltante; davantage par manque, simple manque !

La prose de Linda Lê est une drogue dure appuyée au meilleur style. À quand le premier recueil de poésie, Madame Lê ? La fascination de sa prose tient du Je est un autre rimbaldien, dans sa variante Lêienne: Je est un autre soi-même.

Si « la langue est la mère, non la fille, de la pensée » (Karl Kraus), Linda Lê en est la grande mère alors ! Grande Mère comme on dit Grande Prêtresse.


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