Exercices d'admiration

Wallonie, terre de poètes. L'artisanat éditorial qui alimente régulièrement nos rayonnages vient de nous sertir une nouvelle chemise de cent joyaux, confiés aux Archives & Musée de la littérature, à la Bruxelloise Bibliothèque royale.

Grâce soit rendue à la vocation éditoriale de cette équipe [liégeoise ? sous la potentielle conduite experte de G. Purnelle ?], Émeline Deroo & Loris Notturni: ils nous tracent l'historique de ces poèmes en une préface éclairée de l'intérieur par la clarté qu'ils y ont perçue. Voulues comme un ensemble fini par leur auteur, ces Stèles les attendaient.

Le Trésor de la langue française définit ainsi ce terme:

STÈLE, subst. fém.
I. A. ARCHÉOL. Monument monolithe ayant la forme d'un obélisque, d'un cippe ou d'une dalle placée en position verticale, parfois orné de sculptures ou de peintures, sur lequel sont gravées des inscriptions commémoratives ou des textes législatifs. Stèle funéraire, législative, votive; stèle peinte; stèles attiques, égyptiennes, étrusques. Immobile sur son pied grêle, L'ibis (...) Déchiffre au bout de quelque stèle Le cartouche sacré de Thot (GAUTIER, Émaux, 1852, p. 44). Qu'est devenue la stèle, près du tombeau de Léonidas, où les enfants épelaient les noms des trois cents morts aux Thermopyles? (BARRÈS, Voy. Sparte, 1906, p. 188).
B. Mémorial (en particulier monument funéraire) de forme analogue. Stèle commémorative; stèle d'une tombe; stèle de granit, de marbre; ériger une stèle à la/en mémoire de qqn. Soixante-cinq des nôtres tombés au champ d'honneur. La stèle, le granit consacré à leur mémoire (...) est tout ruisselant (...) de noms ensanglantés (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 78). Une stèle dressée sur place rappellera qu'ils [les maquisards] sont tombés là. La Croix de Lorraine, gravée sur la pierre, dira pourquoi et comment (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 251). V. funéraire B ex. de Flaubert.
II. BOT. Partie centrale des tiges et des racines des plantes vasculaires entourée de l'endoderme et comprenant la moelle, le bois et le liber ainsi que les formations secondaires libéro-ligneuses (d'apr. GDEL, s.v. cylindre). Les travaux de Van Tieghem sur la structure des plantes, et notamment sa formulation de la théorie de la stèle, ont été d'une importance primordiale (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 428).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. 1694 « monolithe en forme de colonne » (CORNEILLE); 1850 stèles funéraires (FLAUB., Corresp., p. 275); 2. 1904 bot. (Nouv. Lar. ill.). Empr. au lat. stela, empr. au gr. . Fréq. abs. littér.: 67. Bbg. BORN. 1967, p. II, 62.

Si les deux premiers usages sont des confirmations, le sens botanique m'était inconnu. Était-ce le sens que le poète avait en tête quand il s'est lui-même convaincu que ce serait le meilleur titre pour son recueil, après en avoir "essayé" d'autres ? Il était en tout cas fort féru de la nature qui l'entourait sur le bâti de Plainevaux (commune de Neupré) où il vivait au milieu des années 80 quand ces textes ont été assemblés.

Chaque stèle est une capsule philosophique en soi.

 L'être, la lumière, la pensée, la question & le signe sont des récurrences thématiques. Ces stèles sont autant de diamants taillés dans un pigeonnier non loin de l'église du village, un geste architectural en soi d'ailleurs, que nous devons à l'architecte J.-M. Pissart.

Cette édition les numérote, usons-en:

4 Le signe,
pour traverser le désert
de l'insignifiant.

L'indigence du viatique
fait de nous
de vrais errants.
15 Dans toute signification
se tient
la discrète allusion

au temps
où il n'y avait ni temps
ni signification.
63 L'hémorragie de la conscience :

sans le garrot de la signification
nous serions morts
exsangues.
65 L'être jubile
hors de la signification,

c'est une sensualité
qui jouit de rien.
73 Nous pensons,

dans l'attente que cesse
le déplorable exil

d'être réduit au signe.
97 Vivre tranquillement
la fin
de la signification,

comme s'il n'y avait jamais eu
de livres.

Enchaîner ainsi ces six stèles entre signe, signification & l'insignifiant propulse une seule certitude:

Toute glose,
face à l'indépassable,
s'affaire à être

une pensée sans mots,
un savoir reconnu
au creux du soi.

Il émane de ces vers si économes une densité essentielle.

Rapprochement ?

C'est en 1977 que l'équipe liégeoise du groupe μ consacre un volume à La rhétorique de la poésie: lecture linéaire lecture tabulaire. L'ouvrage est réédité en octobre 1990 par les éditions du Seuil, en sa collection Points Essais, n° 216. Il offre une lecture novatrice, par rapport à la sempiternelle génétique du texte chère à certains romanistes liégeois... La mise en tableaux de la thématique d'un poème offre des perspectives, des ouvertures autrement fécondes, peut-être même complémentaires de l'approche traditionnelle.

F. Jacqmin n'est pas cité dans l'ouvrage; par contre, J. Izoard l'est, p. 213 (merci l'index !) ainsi que F. Chenot p. 214 & É. Verhaeren p. 187. Il se serait peut-être reconnu dans « cette tendance du poème moderne à l'amenuisement ». 88

F. Richaudeau, ferme balise linguistique sur Nulle Part, y est cité à trois reprises.

Une invitation à creuser.


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