Exercices d'admiration
Wallonie, terre de poètes. L'artisanat éditorial qui alimente régulièrement nos rayonnages vient de nous sertir une nouvelle chemise de cent joyaux, confiés aux Archives & Musée de la littérature, à la Bruxelloise Bibliothèque royale.
Grâce soit rendue à la vocation éditoriale de cette équipe [liégeoise ? sous la potentielle conduite experte de G. Purnelle ?], Émeline Deroo & Loris Notturni: ils nous tracent l'historique de ces poèmes en une préface éclairée de l'intérieur par la clarté qu'ils y ont perçue. Voulues comme un ensemble fini par leur auteur, ces Stèles les attendaient.
Le Trésor de la langue française définit ainsi ce terme:
STÈLE, subst. fém. I. A. ![]() B. ![]() II. ![]() Prononc. et Orth.: [ ![]() ![]() |
Si les deux premiers usages sont des confirmations, le sens botanique m'était inconnu. Était-ce le sens que le poète avait en tête quand il s'est lui-même convaincu que ce serait le meilleur titre pour son recueil, après en avoir "essayé" d'autres ? Il était en tout cas fort féru de la nature qui l'entourait sur le bâti de Plainevaux (commune de Neupré) où il vivait au milieu des années 80 quand ces textes ont été assemblés.
Chaque stèle est une capsule philosophique en soi.
L'être, la lumière, la pensée, la question & le signe sont des récurrences thématiques. Ces stèles sont autant de diamants taillés dans un pigeonnier non loin de l'église du village, un geste architectural en soi d'ailleurs, que nous devons à l'architecte J.-M. Pissart.
Cette édition les numérote, usons-en:
4 | Le signe, pour traverser le désert de l'insignifiant. L'indigence du viatique fait de nous de vrais errants. |
15 | Dans toute signification se tient la discrète allusion au temps où il n'y avait ni temps ni signification. |
63 | L'hémorragie de la conscience : sans le garrot de la signification nous serions morts exsangues. |
65 | L'être jubile hors de la signification, c'est une sensualité qui jouit de rien. |
73 | Nous pensons, dans l'attente que cesse le déplorable exil d'être réduit au signe. |
97 | Vivre tranquillement la fin de la signification, comme s'il n'y avait jamais eu de livres. |
Enchaîner ainsi ces six stèles entre signe, signification & l'insignifiant propulse une seule certitude:
Toute glose,
face à l'indépassable,
s'affaire à être
une pensée sans mots,
un savoir reconnu
au creux du soi.
Il émane de ces vers si économes une densité essentielle.
Rapprochement ?
C'est en 1977 que l'équipe liégeoise du groupe μ consacre un volume à La rhétorique de la poésie: lecture linéaire lecture tabulaire. L'ouvrage est réédité en octobre 1990 par les éditions du Seuil, en sa collection Points Essais, n° 216. Il offre une lecture novatrice, par rapport à la sempiternelle génétique du texte chère à certains romanistes liégeois... La mise en tableaux de la thématique d'un poème offre des perspectives, des ouvertures autrement fécondes, peut-être même complémentaires de l'approche traditionnelle.
F. Jacqmin n'est pas cité dans l'ouvrage; par contre, J. Izoard l'est, p. 213 (merci l'index !) ainsi que F. Chenot p. 214 & É. Verhaeren p. 187. Il se serait peut-être reconnu dans « cette tendance du poème moderne à l'amenuisement ». 88
F. Richaudeau, ferme balise linguistique sur Nulle Part, y est cité à trois reprises.
Une invitation à creuser.