La notice bien documentée des Chefs d'oeuvre de l'érotisme nous renseigne sur la source de l'inspiration de R. Ganzo. J'inclus donc cette statuette. (Source en cliquant sur la photo)
Pour une meilleure lisibilité, voici le texte inclus dans l'anthologie aux pages 37 à 39:
LESPUGE
« L’ultime pas, le dernier feu,
tout signe, le chaos l’efface.
Rien que des vents pleins de froid bleu
entre les mâchoires de glace.
Dans l’ombre de ton lourd sommeil,
parmi les neiges et les pierres,
un premier rêve éclôt, pareil
au gel qui brûle tes paupières.
Ton souffle, comme une eau s’élève
vers quel fleuve encore incertain ?
Ouvre tes yeux au bout du rêve ;
voici l’aube et le ciel s’éteint.
C’est donc ici ? Faims, soifs, saccages,
tumultes : nous fûmes conduits.
Seules tes mains, comme des cages,
gardent ce qui reste des nuits.
Comme les dents d’une morsure,
te levant quand je me levais,
tu me suivais, esclave sûre,
et peut être je te suivais,
esclave sans effroi, moi-même.
Ainsi, mornes, indifférents,
accouplés, deux signes errants
dans l’hostilité d’un ciel blême.
Bois immobiles sans poussière ;
lacs noirs où rien n’avait baigné ;
chemins de sang ; haltes de pierre :
au gré du troupeau résigné
nous fûmes conduits. Tout s’efface.
Au bout du rêve ouvre tes yeux ;
rien que ton corps chaud et frileux ;
rien que mes yeux de bête lasse.
Le jour. Regarde. Une colline
répand jusqu’à nous des oiseaux,
des arbres en fleurs et des eaux
dans l’herbe verte qui s’incline.
Toi, femme enfin – chair embrasée –
comme toi tendue, arc d’extase,
tu révèles soudain ta grâce
et les mains soûles de rosée.
Tes yeux appris aux paysages
je les apprends en ce matin
immuable à travers les âges
et sans doute à jamais atteint.
Déjà les mots faits de lumière
se préparent au fond de nous ;
et je sépare tes genoux,
tremblant de tendresse première.
Où finis-tu ? Je t’ai laissée
Dans la chaleur de notre abri ;
mais tu marches dans ma pensée
Et me dépasses, comme un cri.
Les loups n’ont pas de clameur si grande
lorsque s’abat, celui qui meurt ;
et les vents n’ont pas la rumeur
que je porte ainsi qu’une offrande.
L’ombre monte et tu m’es ravie.
Jusqu’à tes confins poursuivie,
tu t’endors. Et moi, vigilant,
j’écoute l’oiseau te frôlant,
les sources, le bruit de ta vie,
venu de son plus lointain gîte,
et le feuillage gris qu’agite
un souffle plein d’appels, et lent.
Où finis-tu, quand je retrouve
tes bras qui m’attendent, tes fièvres,
et le mystère de tes lèvres
pareilles à ce feu qui couve ?
Tu souris aux abords du règne
où va ton regard pénétrant ;
et ta force, comme un torrent,
jaillit de ton ventre qui saigne.
Si ma fureur prise à la grappe
de ton corps tranquille et puissant
crie et se mélange à ton sang,
ton visage éloigné m’échappe.
Ta chair immense que j’étreins
riait et pleurait dans ma moelle,
et je trouve, au fond de tes reins,
la chute sans fin d’une étoile.
Où finis-tu ? La terre oscille ;
et toi, dans le fracas des monts,
déjà tu renais des limons,
un serpent rouge à la cheville ;
femme, tout en essor et courbes
et tièdes aboutissements,
lumière et nacre, ombres et tourbes
faites de quels enlisements ?
Vals* que l’été gorge de sève,
je vois tes seins s’épanouir
et parfois ton ventre frémir
comme u sol chaud qui se soulève.
Tu m’apaises si je m’étonne
de ces pouvoirs que tu détiens ;
et je sais, femme, qu’ils sont tiens
les miracles roux de l’automne.
Ta voix chante les longs passages
de nos frères multipliés
aux horizons, et leurs messages
noués aux troncs des peupliers ;
les noirs charniers
des jours torrides,
les faims, les soifs insatiables
et le rire égrené des sables
déchirant des poitrines vides ;
les griffes, l’empreinte des dents,
les flammes vacillantes dans
la nuit des plaines infinies,
la sèche attente des momies,
le dur et blanc dédain des os,
l’ordre frappé sur la peau morte
roulant aux ailes des échos
et tout ce que la terre porte.
Et chante aussi que tu m’es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et tes cinq doigts d’ocre aux parois
de la roche où ta voix s’est tue.
Le silence t’a dévêtue,
- chemin d’un seul geste frayé –
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d’une femme nue.
Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts
qui t’ont faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d’aile,
toi, ma compagne que je mêle
au jour continu de l’ivoire.
Ton torse lentement se cambre
et ton destin s’est accompli.
Tu seras aux veilleuses d’ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts
de brise, d’onde et de fumée.
* pluriel possible de val.
Le « village [de Lespuge] attache aussi son nom à la Préhistoire depuis la découverte à proximité, en 1922, d'une superbe statuette féminine en ivoire de mammouth. Vieille de 24.000 ans, la «Vénus de Lespugue», chef-d'oeuvre du paléolithique (culture du Gravettien ; on dit aussi Périgordien), est aujourd'hui conservée au Musée de l'Homme à Paris » (Même source que l'image).
Le festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo attribuent un prix Robert Ganzo depuis 2007. J. Sternberg avait le nez fin et le sens poétique sûr...
Un ouvrage de l'auteur est édité dans la collection blanche: L'oeuvre poétique.