J’ai hiberné tout l’hiver dans l’abri de jardin. Froidures et buées, poussières étales, minutes suspendues. Avec pour seule permanence, le fil tissé par l’araignée. Elle a écrit ses toiles sur tous les murs. Personne n’est venu au vernissage.

Un matin, j’ouvre les yeux, la lumière a changé de tessiture. Un frémissement parcourt ma mécanique. Oubliées la rigueur du froid, la sourdine des brumes. Le printemps arrive, de la vie plein les bras. J’ai envie d’aller embrasser le monde. Envie de construire un igloo, d'être accueillie dans une case, de jouer au foot dans une favela, de boire une noix de coco.

Je reconnais son pas. Après tant de mois, il me regarde à peine, je suis sa tondeuse à gazon, sa chose. Ce n’est pas un poète, vous savez. Le printemps ne le pénètre pas. Simplement, le temps est venu de tondre. Parce qu’il a entendu les voisins opérer. Parce qu’il aime plus que tout l’ordre et la répétition.

Sans me prévenir, il tire sur le démarreur. Moi, je tousse, j’étouffe. Il jure et me secoue. Sensible, je me cabre. Il me retourne et expose mon intimité à tous les vents. Il m’enduit de graisse de ses gros doigts. Ce ne sont pas des gestes d’amant, il dispose
de moi.

Il me monte alors une formidable colère. Je songe à mes soeurs exploitées, violées massacrées. J’entends la clameur de l’oppression. Je vois rouge.

Sans état d’âme, je me rue sur la pelouse et provoque un vrai carnage. Pas un brin d’herbe ne trouve grâce. Je ne me reconnais plus. Je ruisselle d’un sang végétal. L’herbe est en purée d’agonie, son lamento s’élève, musical.

Il m'a rangée sagement. Brûlante, tremblante, troublée. Je voulais célébrer le printemps, la vie et je me retrouve avec de la chlorophylle sur les mains.

Je voulais venger l’oppression, me voilà tortionnaire. Ne sortirons-nous jamais du cercle de la haine ?


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