Tu montes dans des trains bourrés de bureaucrates
En costume cravate caissons blindés
Qui se laissent bercer comme toi dans l’ignorance de la vitesse
Tu mets des écluses des échangeurs des bornes kilométriques à ton compteur
Tu t’engouffres dans des ports, des zones d’ombres et de chaos
Tu chevauches avec des brigands, tu t’ébroues dans le galop ébouriffant
Et tu reprends haleine.
Les arbres s’espacent et cèdent à des déserts humides,
À des montagnes arides, des terrasses lézardées.
Tu fréquentes des bars de baroude
Et tu examines l’existence à travers des tessons de verre:
Il arrive que tu y voies si clair.
Tu marches sur des routes de terre ou de poussière
Pour repousser les doutes tu t’étourdis de misère
Parfois tu portes secours
Tu te laisses souvent porter par la foule
Tu te sens brindille soulevée par le vent
Par des forces millénaires
Tu te reconnais dans des visages étrangers
Qui te font confiance ou restent dans l’indifférence
Tu crois trouver dans ces traits des énigmes intactes
Que tu laisses scellées
Et certains mouvements des corps inconnus t’inspirent une défiance
Pure et enfantine
Tu t’assieds à l’ombre d’amis d’autres latitudes
Tu as l’impression qu’ils ont toujours été avec toi
Après la cuite rituelle du premier soir en tous cas
Et combien de nouvelles rencontres ont le goût de retrouvailles ?
Quand tu reprends la route
Tu t’es délesté d’un peu de toi
Marcher plus léger
Se défaire des fardeaux
Et les paysages défilent
Et tout te semble beau
Et le monde est une île
Et tu es un roseau
Tu vogues
D’aéroports en gares égarées au milieu de plaines taries
De routes de sable en femmes angulaires aux hanches de pitié
De chemins de pacotille en villes vertigineuses
Ce sont les mêmes contes que tu édifies.
Au bord d’un trottoir de Boston tu contemples le ciel
Tiré à quatre épingles par des buildings laqués
Il est en tout point identique au drapé qui surplombe ton domicile
Les jours de temps clair
Tu interceptes ton reflet dans une vitrine de bijouterie
Tu as des souvenirs à tes trousses
Et cela te fait rire de trouver par hasard
Une paire de jumelles « Made in Belgium »
Dans l’échoppe brune d’un souk africain
Souvent tu as des ennuis ; même de légers imprévus accélèrent ton cœur
Quand l’adrénaline retombe tu griffonnes ton anecdote au dos d’une boîte d’allumettes
Les yeux noyés d’endorphines et de douceur.
D’un voyage en Amérique latine
(Ou était-ce en Asie ?)
Tu as ramené une femme
Tu voulais fonder en elle ta nouvelle religion
Tu étais arrivé à un carrefour si sombre
Tu t’es arrimé à elle
Tu as parcouru sa foi de long en large
Puis, à nouveau, l’urgence de partir.
Ton ombre immense te poursuit sans relâche
Dans la houle comme sur la terre ferme
Les erreurs se défilent
S’échappent
Sur le ponton
Dans une bourrasque.
Tu t’entoures de fantômes.
Quand tu es immergé loin quand tu t’expatries
C’est seulement alors que tu te sens entier
Quand tu reviens tu es toujours ailleurs
Tu remâches les souvenirs distants
Ces autres lames de lumière
Mais c’est un ciel unique
Qui s’étend au-dessus de toi
Et les astres songeurs demeurent aux abois
Pour venir à ta rescousse assécher l’effroi.
Quelle différence entre nous ?
Je ne suis jamais parti
Mais mon angoisse vaut bien la tienne:
Sténose calcifiée d’une fuite éperdue.