C’est un pays sans aspérité, sans encoignure, sans notion d’enfermement, de cadastre, juste un vaste désœuvrement. Des vagues intangibles, qui s’enroulent, se déroulent au gré d’un courant immatériel, sans perspective de limites, et se jouent du trait émoussé de l’horizon qui ondule derrière un voile insaisissable d’infini. Le temps se liquéfie, s’écoule sans retenue, ni repères figés de périodes ou d’époques. Ce qui surprend en premier c’est le vide de sensations, les sens et l’imagination sont privés de liberté. Dans ce pays les absences ont de l’épaisseur mais on ne connait pas la moiteur poisseuse des corps, la sécheresse rugueuse des matériaux, la viscosité des étoffes, le duveté de la nuque d’un nourrisson. Sur cette terre de dénuement, on ne connaît pas l’odeur épicée des sueurs, on ne sent que les manques, le manque de sous-bois brumeux, de ruisseaux moussus, de relents de marées, on ne respire que l’absence de cageots de fruits mûrs, de cascade de roses de mai. Ici on ignore le son glissant du rebond des vagues sur la rondeur des barques, le bruit sourd des filets vides jetés sur le sable, les ricochets stridents des rires d’enfants. On n’entend rien, que le feulement rauque d’un souffle qui râpe la matière aride. L’air terreux crisse sous la dent, dessèche les gosiers et ôte toute latitude au goût. Reste juste l’étonnement du regard, frappé par la lame adamantine du ciel et la fraîcheur absurde d’une éclipse de lune opale.