On n’entre pas sans frapper. La porte, d’ailleurs, est toujours close. Dedans flotte un relent de tabac froid, de rance, de vieil éther. Dedans, tout est toujours fermé. Les armoires vitrées aux rideaux à plis verts, la fenêtre au verre sablé. Des clés, partout il doit y avoir des clés. Tout est tapi, là sur la moquette élimée qui laisse entrevoir le plancher gris, qui grince par endroits.
On l’entend du rez-de-chaussée, la plainte du sol. Aux murs jaunis de nicotine, deux photos, le père, monochrome et figé, la mère dénuée de sourire et éternellement vieille. Les grands-parents que je n’ai pas connus.
Un vieux relax, sur le côté, pour l’indéfectible sieste, et au milieu, la pièce maitresse, le bureau. Tout est d’époque. Ici le temps s’est arrêté depuis une éternité. Dans ce lieu défendu et craint, le mystère est omniprésent. C’est le terrier du père, son refuge, son isoloir autant que son lieu de travail. Il y prodigue des soins, c’est un docteur compétent et jovial, répandent ses patients. C’est un homme à deux visages terriblement distincts, et moi je n’ai connu que l’autre. Sa vie est quadrillée, minutée, avec la régularité du métronome. Rien n’y déroge. Il aura passé quarante ans de sa vie dans cette pièce exiguë où personne n’avait le droit d’entrer sans convocation. Il valait mieux, d’ailleurs, ne pas y être appelé… Quarante ans d’une étrange solitude, de secrets, de non-dits.
Le bureau s’est ouvert après que les yeux de mon père se sont fermés à clé.
Tous les verrous ont cédé, tout s’est délié. Chacun de nous voulait savoir, enfin savoir. Mais au final, il n’y avait rien. Rien de caché, rien à voir. Qu’un drôle de vide et des calepins remplis de chiffres. Personne n’a trouvé la clé. Il n’a rien laissé d’autre. Toute une vie de chiffres. Les chiffres du Lotto depuis 1965.