Il n’est pas de temps à tuer, il est du temps à prendre.
À contempler la vie jaillir de presque rien
Et s’écouler aux rives de l’inexorable fleuve
Qui charrie en ses eaux les sédiments d’une mémoire millénaire
Il n’est pas de temps figé, il n’est que suspendu
Au fil de l’eau souveraine qui déverse ses crues
Sur les terres assoiffées, arides, nues et exsangues
Sur le sable torréfié d’un désert conquérant
Il n’est pas de temps à perdre, il est un temps oublié
Immobile dans la fournaise des falaises surchauffées
Dans cette vallée de pierres dorment encore quelques rois
Les failles en leurs entrailles veillent le repos de leur âme
Il n’est pas de temps qui coule, ici le temps a fait naufrage
Le courant draine l’histoire et emporte son bagage
Au fil de l’eau s’égrènent les souvenirs d’une démesure ordinaire
Le granit taillé concède un peu d’éternité statuaire
Il n’est pas un souffle de temps pour arrêter les felouques
Toutes voiles figées, elles louvoient obstinément
De rive en rive et se moquent du temps
Puisqu’il a emporté le vent, elles glisseront au gré du courant
Il n’est du temps que de vestiges, juste un fil qui nous lie
Aux bâtisseurs de notre histoire, à ces rêveurs, ces utopistes
Qui pensaient que leurs ouvrages traverseraient plus de mille ans
Du temps ils ont déjoué les rouages et trafiqué l’écoulement
Du Nil on a fait un barrage, du temps ils ont stoppé le mouvement
Il n’est pas de temps qui file, il n’est qu’un fleuve calme qui coule et qui berce et des soleils qu’on couche et puis qu’on lève et des lumières qui rasent et tamisent ; des nuances ineffables et une douceur candide et une paix immense et la vie qui sourit et rien n’a d’importance et on se sent petit devant ses pierres intemporelles qui capturent le soleil et gardent les couleurs et qu’a-t-on fait depuis de plus majestueux et que fera-t-on encore qui durera toujours ?