Photographier ma Sainte Ardenne, c’est dévoiler son corps meurtri, qui reste cloué aux quatre points cardinaux.

C’est panser ses longues cicatrices, ravauder ses prairies décousues, éponger la vérité des larmes secrètes de tant d’amours ratées.

C’est saisir quelques bouts d’existence incorruptible, les dernières reliques d’une ville qui part en vrille, d’un Paradis dont on ne revient pas.

C’est, accroupie dans son giron humide, immortaliser l’effluve de ses chèvrefeuilles, l’innocence d’un bouton d’or, ou d’un œuf d’ange tombé du ciel.

C’est coucher sur le papier glacé les tremblements de ses lèvres myrtille et framboise, empoisonnées pour avoir trop aimé.

C’est enfermer dans la chambre noire le bleu très pâle de ses veinules, ses derniers repas de neige, la layette de ses ciels détricotés.

C’est plonger dans le bain de révélation tous ses paquets d’épines, tous ses sapins en linceul de plastique rouge, morts pour célébrer une présumée naissance.

C’est dire les châteaux de ses eaux interdites, ses jardins bétonnés, sa clairière sanglée dans la camisole électrique, toutes ses fenêtres qui baissent leurs paupières à l’heure d’un Dîner presque parfait.

C’est écouter le cantique d’un fantôme qui me berce, et donne l’envie de vivre encore un peu.

C’est capturer le silence, rien que le silence, et le chant des oiseaux.


(Prose poétique/Personnage imaginaire)


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