La boîte aux lettres était d’un modèle ancien : une borne postale en fonte rouge ornée de bas-reliefs. Pour tout dire, elle était anachronique. Il y avait beau temps qu’elle était hors service. On n’écrivait plus de lettres : tout le courrier, privé ou professionnel, administratif ou publicitaire, transitait par internet. L’écriture manuscrite n’était d’ailleurs plus enseignée. Elle n’était pas requise pour la rédaction de courriels ou de textos. Le service postal privatisé ne servait plus qu’à acheminer des colis ou des envois volumineux.  
La borne postale n’avait cependant été ni détruite ni déplacée: elle avait été classée au titre de petit patrimoine urbain, parmi les fontaines Montefiore et autres potales. Pour en préserver l’authenticité, la fente n’avait pas été obturée.
Tous les jours à la même heure, et par tous les temps, la vieille dame sortait et trottinait jusqu’à la boîte aux lettres. Elle y glissait invariablement une seule enveloppe timbrée. On avait bien tenté de lui expliquer l’inutilité de la chose. Elle ne voulait rien entendre. Elle était plus sourde que Beethoven.
La boîte aux lettres était près de déborder lorsque l’inéluctable se produisit : l’épistolière acharnée rendit son âme et son porte-plume à Dieu.
Les autorités décidèrent de vider la boîte. Il fallut bien des recherches pour en retrouver la clé, au fin fond d’un des multiples tiroirs de l’armoire aux archives postales du musée communal.
A l’ouverture de la porte, un flot d’enveloppes s’échappa de l’édicule. Toutes les lettres avaient une seule et unique destinataire: leur expéditrice.


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